Femmes En Tête 2022 – Meghyn Bienvenu

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Femmes En Tête 2022 – Meghyn Bienvenu

Meghyn Bienvenu - Femmes en tête

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2022 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.

Meghyn Bienvenu est directrice de recherche CNRS travaillant au sein du Laboratoire Bordelais de Recherche en Informatique (LaBRI)


Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?

Je ne viens pas d’une famille de scientifiques. Au lycée, j’étais intéressée par beaucoup de sujets (sciences, lettres, langues, photographie, …). Pour mon entrée à l’université, j’ai hésité jusqu’à la dernière minute entre plusieurs voies, mais finalement, je me suis laissée tenter par un programme interdisciplinaire sur les sciences cognitives et l’intelligence artificielle (IA) à l’Université de Toronto (la ville d’où je viens), qui m’a fait notamment découvrir l’informatique. En fin de cursus, j’ai eu un cours passionnant sur la représentation des connaissances et le raisonnement automatique, l’une des principales sous-disciplines de l’IA, qui est devenue mon domaine de recherche. 

Ma décision de devenir chercheuse doit beaucoup au programme fédéral canadien qui permet à quelques étudiant(e)s d’effectuer des stages de recherche pendant l’été à partir de la seconde année d’université. L’une de mes encadrantes — Sheila McIlraith —  m’a beaucoup encouragé et m’a orienté vers un cursus en France qui me correspondait pour mon Master. Je suis encore en contact avec elle aujourd’hui, et au cours de ma carrière, j’ai eu la chance de rencontrer d’autres chercheurs (hommes et femmes) qui m’ont conseillé et soutenu. 

Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ?

Même les jeunes enfants arrivent à combiner différentes informations pour arriver à une conclusion.

Par exemple, mon fils de 4 ans m’a récemment annoncé que « un orque n’est pas un poisson » car « un orque est un type de dauphin » et « les dauphins ne sont pas des poissons ». Mon domaine de recherche consiste à étudier comment on peut donner aux ordinateurs la capacité d’effectuer de tels raisonnements par eux-mêmes. Plus concrètement, on utilise le terme « ontologie » pour parler d’une représentation formelle des classes d’un domaine (par exemple, la classe des dauphins) et les relations qui existe entre ces classes (par exemple, « les dauphins sont des mammifères qui respirent à l’aide de poumons ») . Dans mes recherches, je conçois des algorithmes qui permettent de faire divers types de raisonnement sur des données enrichies par des ontologies.

Ce genre de technique trouve des applications partout, car aujourd’hui ce ne sont plus les informations qui manquent, mais les outils qui nous permettent de donner du sens à toutes ces données.  En médecine, par exemple, de grandes ontologies sont couramment utilisées pour fournir un vocabulaire précis et uniforme pour mieux stocker et exploiter des données des patientes. En génétique, on utilise le « Gene Ontology » pour décrire les résultats des expériences, les rendant ainsi facilement trouvables par d’autres chercheurs. Enfin, les applications ne se limitent pas à la sphère scientifique, car les ontologies servent également à annoter des informations sur le Web, afin que les ordinateurs puissent comprendre le contenu des pages web et mieux trouver et combiner des informations pertinentes.

Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?

L’enrichissement des données par des ontologies comporte plusieurs avantages, mais le gros inconvénient est que la prise en compte de connaissances rend plus difficile la tâche de répondre aux requêtes des utilisateurs. Comme les utilisateurs s’attendent à obtenir des réponses en temps raisonnable, il est très important de comprendre dans quel cas précis on peut garantir un raisonnement efficace: pour tel type d’ontologie et tel type de requête, est-ce qu’il existe des algorithmes efficaces pour produire des réponses ?
Grâce à mes travaux (menés en collaboration avec d’autres chercheurs, en France et à l’étranger), nous avons obtenu une vision claire de la frontière entre « cas faciles » et « cas difficiles ». Cela a permis notamment de comprendre pourquoi une approche très utilisée ne donnait parfois pas des performances satisfaisantes (et comment on pourrait faire mieux), et de se rendre compte qu’il était parfois possible de considérer des requêtes encore plus sophistiquées que celles considérées habituellement tout en gardant de bonnes performances. Il s’agit donc non pas d’un seul résultat mais plutôt d’un ensemble de résultats qui ont permis de mieux comprendre les limites des techniques actuelles et comment les dépasser.

Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?

L’un des sujets qui me passionnent en ce moment est l’étude des informations qui sont incomplètes, incertaines et/ou erronées. L’enjeu est de taille car les données réelles présentent très souvent de telles imperfections. Les systèmes actuels ne sont souvent pas capables de fournir des réponses fiables et justifiées sur des données imparfaites, or les êtres humains semblent capables d’extraire des informations utiles même en présence de contradictions. Par exemple, si quelqu’un nous dit qu’Ana est née en Suède, et qu’on apprend d’une autre source qu’elle est née au Danemark, on ne pourra pas dire avec certitude le pays de naissance d’Ana (en l’absence d’autres informations),  mais on peut raisonnablement supposer qu’elle est à tout le moins d’origine scandinave. Les défis sont donc, d’une part, de formaliser ce qui compte comme une réponse plausible, certaine, ou possible en cas de données imparfaites, et d’autre part, de trouver des algorithmes efficaces pour produire de telles réponses et pouvoir les justifier auprès de l’utilisateur. 

Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?

A titre personnel, je n’ai heureusement rencontré au cours de ma carrière que des professeurs et collègues bienveillants. Je n’ai subi ni harcèlement ni vexation d’aucune sorte. Cela dit je suis bien consciente que mon expérience n’est pas celle de toutes mes collègues et il est encore nécessaire pour les institutions de redoubler d’efforts pour s’assurer que les femmes bénéficient d’un climat serein tout au long de leurs études et de leur carrière universitaire. 

La seule difficulté que je rencontre du fait de mon genre est que les femmes scientifiques sont très sollicitées pour faire partie de toutes sortes de comités, pour des raisons de parité. Même si l’intention est bonne, si l’on n’y prend pas garde et que l’on accepte trop de telles responsabilités, cela peut fortement rogner sur notre temps de recherche. Il faut apprendre à dire non ! 

Quelle est la situation au plan de l’égalité Femmes-Hommes dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?

L’informatique fait partie des disciplines où l’on est loin de la parité aujourd’hui: seulement 22% des postes de chercheurs/ses en France sont occupés par des femmes. Dans mon programme de Master, j’étais la seule femme pour vingt hommes (ce qui ne m’a pas empêché d’être classée première !). 

Ce que la plupart des gens ignorent est que l’informatique était bien plus féminisée dans les années 60, et les femmes sont actuellement très présentes dans les filières informatique en Inde. Il s’agit surtout d’un problème culturel.

Il faut donc tout faire pour contrer les stéréotypes afin que les filles arrêtent de penser que l’informatique n’est pas pour elles. Evidemment, les médias (et la publicité) ont un rôle important à jouer, et il faudrait insister sur l’importance de montrer la diversité des personnes travaillant dans l’informatique. Une action plus concrète est d’aller à la rencontre des collégiennes et lycéennes pour leur exposer ce qu’est l’informatique et les encourager à ne pas se censurer dans leurs choix d’orientation. De telles actions existent déjà aujourd’hui, mais je pense qu’il faudrait les renforcer et les systématiser. 

Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ? 

J’encouragerais les jeunes filles à s’essayer dès que possible à l’informatique pour savoir si cela leur plaît. Cela peut se faire de plusieurs façons: soit en choisissant la spécialité « Numérique et Sciences de l’Informatique » au lycée, soit en s’initiant au sujet par soi-même ou par le biais d’associations (dont certaines proposent des stages d’été). 

Même s’il faut avant tout y trouver du plaisir pour se lancer dans des études d’informatique, j’insiste sur le fait que celles-ci offrent un très grand nombre de débouchés sur des métiers stimulants et rémunérateurs. C’est donc un bon choix « stratégique » ! 

Et pour celles qui auraient, à l’issue de leurs études, envie de se lancer dans la recherche, je peux leur assurer que l’informatique est le domaine idéal: comme il s’agit d’une discipline récente, il reste énormément à découvrir, et comme (contrairement à certaines idées reçues) la recherche en informatique nécessite souvent peu d’équipement, les jeunes chercheurs/euses ont une véritable indépendance. J’ajouterais enfin qu’il s’agit d’une discipline très créative et où l’on travaille souvent en collaboration. 

Je conseille vivement la lecture de la bande dessinée « Les décodeuses du numérique« , qui illustre la diversité du métier d’informaticienne au travers des parcours de 12 femmes chercheuses (dont Marie-Christine Rousset, qui travaille dans mon domaine et qui était dans mon jury de thèse !).  


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