Femmes En Tête 2022 – Armelle Faure

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Femmes En Tête 2022 – Armelle Faure

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A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2022 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.

Armelle Faure est Docteur diplômée de l’EHESS, Ethnologue et Anthropologue, Lauréate du Prix de l’Académie Française (Louis Castex: Histoire et Anthropologie). Retrouvez la sur Researchgate et Linkedin.


Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?

J’avais surtout envie de voyager, d’aller à la rencontre de l’autre et de l’ailleurs. Mes lectures étaient celle de grands auteurs de voyage avec une cause, comme Joseph Kessel, Alexandra David-Neel et bien sûr Claude Lévi-Strauss. J’étais dans une famille pour qui les études étaient très importantes, surtout pour les filles. Ma sœur est devenue médecin. Moi, j’avais besoin de grands espaces, de découvertes, et de vivre à l’extérieur. Ethnologue alliait les deux : le goût de l’aventure et celui des recherches. 

Lorsque j’ai eu 50 ans, je me suis interrogée sur ce choix bizarre, ethnologue, je me suis rendue compte que dans mes travaux, je cherchais toujours à défendre les populations locales contre les abus des Etats, du progrès, contre ce qu’on leur imposait avec le prétexte du sacrifice pour le bien commun. Je suis une « enfant de Diên-Biên Phu », comme beaucoup de mes amis et collègues africains, indochinois et malgaches dont les parents ont fait la guerre d’Indochine, après avoir fait d’autres guerres aux côtés des Français. Cet héritage me donne un désir de justice et la volonté de faire respecter l’humain et ses droits fondamentaux. Pour les même raisons, j’ai beaucoup de mal à supporter les erreurs faites par les hiérarchies, qui ne s’excusent quasiment jamais de leurs fautes graves, ce qui m’a menée à rester indépendante dès le début de ma carrière.

Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ?

Mon premier terrain d’étude interrogeait les questions foncières et tout le symbolique autour des relations entre les Bissa du Burkina Faso et la terre, la forêt, le monde sauvage. Je finançais ma thèse en dirigeant les actions d’une ONG, AICF.  Une grande partie de mon terrain a été englouti sous le lac du plus grand projet de développement du pays. Je me suis faite embaucher par l’agence de développement française pour suivre les transformations pendant la construction du barrage, en préparation des aménagements agricoles. Ensuite, j’ai été embauchée pour de nombreuses missions par un organisme international. J’ai travaillé à la fois sur les grandes infrastructures (barrages, grands périmètres irrigués, ports, extractions minières, réaménagement de bidonvilles, autoroutes en Chine…) et pour la défense des populations locales qui étaient perturbées par ces projets.

Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?

Aujourd’hui je passe du temps à témoigner en faveur de la révolution africaine de Thomas Sankara, sa lutte et ses succès pour les droits des femmes, 34 ans après sa mort, en particulier contre les mariages forcés, l’excision, pour l’éducation des filles. Il pensait d’abord aux populations agricoles locales et à la lutte contre les injustices.

J’ai participé à plusieurs projets qui sont de vraies réussites. Lorsque l’on peut revenir deux ou trois ans après la réalisation d’un grand projet et être largement remercié par la population locale, c’est cela le succès. On réussit en équipe, car ces grands projets durent plusieurs années et le rôle des équipes nationales est très important. Pour le barrage de Ziga, au Burkina Faso, nous avons réussi à transformer le plan initial du barrage, pour réduire le nombre de familles déplacées. La réhabilitation du grand bidonville d’El Mina en Mauritanie, en conservant les populations pauvres sur place est aussi un succès. Le barrage de Bagré est un succès du point de vue du rendement hydro-électrique. Ensuite ces projets ont leur vie propre et de nouvelles équipes doivent traiter de nouvelles difficultés, par exemple, les sédiments dans les barrages, l’attraction démographique. Il faut toujours être très attentif à ce que les populations locales soient traitées correctement (pour les déplacements, pour les tombes, pour le respect de leurs cultures…). L’échec, c’est quand les populations rurales quittent en masse leurs zones habituelles pour aller en ville. A ce moment là, c’est de la modernisation ratée, parce qu’on a raté la partie locale du projet, qui n’est pas le souci premier des investisseurs. En France, et pour avoir une approche comparative international qui intègre mon pays, j’ai mené les premières études avec les populations déplacées par les cinq grands barrages de la vallée de la Dordogne, entre la Corrèze et le Cantal. C’était la première fois qu’un chercheur venait à la rencontre de ces familles. Par attachement à leur terroir, à leurs ancêtres et à leurs liens sociaux, elles étaient restées à proximité de leurs maisons, leurs terres, leurs fermes engloutis (il y a aussi deux familles de châtelains qui ont été forcés de quitter leurs châteaux, parmi lesquels le remarquable château de Val), quittes à supporter la paupérisation. Petit à petit, après de nombreux séjours et de formidables rencontres en Limousin et en Auvergne, ainsi que leur participation à plusieurs livres et conférences, ces familles se sont senties soulagées de la peine qui leur avait été infligée, par la force de la modernisation d’après guerre, et avec très peu d’accompagnement, financier en particulier.
En terme humain c’est un succès. Au nom de l’histoire, tous ces travaux ont été menés avec les archives départementales, qui valorisent ces travaux, et avec EDF. Mes entretiens enregistrés sont aujourd’hui réutilisés par des artistes, pour des concerts, des pièces de théâtres, des expositions et même pour d’autres livres, par d’autres chercheurs. Je prépare actuellement un travail équivalent avec le département de la Lozère. Rendre leur dignité et leur place dans l’histoire aux familles qui ont été déplacées dans le désordre, et avec violence, dans les années 1980. La destruction de ce dernier chef-lieu de commune, Naussac, englouti sous un lac de réserve d’eau pour le refroidissement des centrales nucléaires de la Loire, laisse de très mauvais souvenirs. On peut déplacer des gens et le faire correctement, c’est une question d’ingénierie sociale, d’humanisme et de volonté politique.

Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?

Je veux terminer de publier ma trilogie post-coloniale, puisque je suis lauréate d’un prix de l’Académie française pour le deuxième volume, c’est un encouragement. Je souhaite y ajouter une quatrième « terrain d’étude » : la Polynésie française et le ressenti des populations locales, relatif aux essais nucléaires. Mon premier « roman » porte sur la guerre d’Indochine, c’est mon « Voyage à Diên-Biên Phu ». Le deuxième volume décrit ma vie de jeune ethnologue pendant la révolution du Président Thomas Sankara au Burkina Faso. Le troisième, en cours de rédaction porte sur cinq années de travaux à Madagascar, un projet d’un milliard US$ pour la construction du plus grand port de l’océan indien avec une exploitation minière, avant le coup d’état. Je ne vous parle pas de mes collaborations à des livres écrits avec des universitaires, parce que nos articles ne sont hélas pas assez lus, en comparaison. Ils sont heureusement très utilisés au Burkina Faso par les nouvelles générations, et cela je considère que c’est un succès : la transmission intergénérationnelle, et l’intérêt local pour des travaux de recherches universitaires, réactualisés par des nationaux 30 ans après. Je continue à travailler sur mes terrains français, autour des grands barrages et des relations entre les populations et leurs territoires. Actuellement, à l’initiative du directeur des archives de Toulouse, nous menons une recherche sur la construction intercommunale autour de Toulouse, depuis l’implantation du CNES à la Métropole d’aujourd’hui, avec ses activités économiques et les services aux habitants. J’encourage des jeunes artistes, des jeunes chercheurs, à se lancer et à mener des travaux universitaires, mais en gardant à l’esprit qu’ils devront inventer leur vie, comme je l’ai fait, parce que je ne suis pas sûre qu’il y aura beaucoup de postes de fonctionnaires en sciences humaines et sociales. 

Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?

Etre une jeune femme ethnologue facilite les relations sur le terrain, je pense, par rapport aux hommes, qui peuvent représenter certaines menaces, surtout en période de guerres ou de conflits. Le terrain est donc très facile avant d’être (mariée et) mère de famille. Cela devient franchement difficile pour aller sur le terrain, mais la maternité reste un grand bonheur que je souhaite à toutes, malgré les difficultés supplémentaires : trouver des nounous sur place, que l’enfant ne tombe pas malade malgré la pollution de l’eau, etc. Cela fait des enfants très dégourdis, très ouverts sur le monde, mais des mères très fatiguées. Là, je crois, dans le monde patriarcal ancien, qu’il vaut mieux être un homme. Je suis certaine qu’avec les nouveaux papas, plus habiles avec les enfants (ou les autres couples), cette situation va s’améliorer et que les mères seront plus libres de faire leurs missions, leurs terrains, avec j’espère moins de fatigue et d’inquiétude vis à vis de leurs enfants.

Quelle est la situation au plan de l’égalité Femmes-Hommes dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?

Je suis contente du mouvement Me Too. Certains scientifiques des SHS avaient une attitude très patriarcale à l’égard des étudiantes, et d’une façon générale à l’égard des jeunes générations. Je regrette qu’on ne nous ait jamais considéré-e-s comme des collègues potentiel-lle-s, comme de futurs vrais ethnologues, capables de faire bien mieux que ces vieux fonctionnaires français post-coloniaux qui nous ont enseigné, avec toutes leurs bonnes volontés. Aux Etats-Unis où j’ai passé une année avec SAIS/Johns Hopkins à Washington DC, les professeurs, tout aussi brillants, étaient beaucoup moins condescendants et beaucoup moins patriarcaux. Je pense que le milieu s’améliore, mais pour avoir écouté récemment certaines collègues à qui des hommes ont confisqué l’accès à leurs postes de professeure, laissez-moi exprimer mes doutes. Il faut vraiment qu’il y ait plus de femmes dans les commissions. L’accaparement et les rapports de force en faveur d’hommes sexistes en place est affligeant. 

Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ? 

Pour devenir ethnologue, anthropologue, il faut aimer aller au contact des autres, vouloir vivre des aventures intellectuelles, et des découvertes infinies. Chaque terrain est différent et c’est ce qui fait le charme de ce métier. Après mon premier terrain de longue durée, 5 ans, au Burkina Faso, j’ai fait plus d’une quarantaine de missions sur des sujets assez différents et dans des pays différents. A chaque fois, il faut trouver comment améliorer le sort des populations locales avec de nouvelles méthodes et de nouveaux outils. Les anthropologues fournissent de nouveaux concepts (l’anthropocène par exemple), de nouveaux arguments, de nouvelles théories, qui permettent d’améliorer la partie humaine de nos réalisations, de nos recherches. Tout est là.


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