Femmes En Tête 2022 – Anne Charmantier
A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2022 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.
Découvrez le portrait de Anne Charmantier Directrice de recherche au CNRS, au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive à Montpellier.
Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?
Mon éducation a fortement influencé mon choix de carrière. Tout d’abord car nous avions un mode de vie qui m’a immergée dans la nature très régulièrement (randonnées le week-end et l’été), mais aussi dans les voyages et l’envie d’explorer l’ailleurs. Enfin, mes parents étaient universitaires et le métier de chercheur m’est vite apparu comme un métier idéal alliant passion et découverte. Jamais avant de prendre mon poste je ne m’étais penchée sur la question de la rémunération qui aurait pu peser dans la balance ! J’étais fascinée par des personnages comme Dian Fossey ou Jane Goodall qui m’attiraient vers l’éthologie, mais je ne peux pas dire que ces modèles étaient ce vers quoi je tendais absolument, car étant très peu exposée aux images (nous n’avions pas la télé) mes objectifs de vie étaient tout autant façonnés par mon imaginaire que par des personnes réelles. Par ailleurs, j’ai toujours adoré les maths et mon esprit fondamentalement cartésien s’épanouissait dans l’approche hypothético-déductive : la démarche rationnelle d’émettre une hypothèse, recueillir des données pour en tester les prédictions puis discuter des résultats dans le contexte théorique défini me correspondait tout à fait. J’ai trouvé dans le domaine de l’écologie évolutive tous les ingrédients d’un domaine d’études qui me passionnerait : l’envie de comprendre comment la nature fonctionne et évolue, la prise en compte de l’environnement dans toute sa complexité, l’étude du comportement, les outils pour quantifier et tester des hypothèses, les corpus théoriques très développés. Dès que j’ai compris ce qu’était l’écologie évolutive, j’ai su que c’était pour moi.
Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ?
Mes recherches visent à comprendre comment les organismes s’adaptent dans les environnements naturels, et en particulier en réponse aux changements rapides de ces environnements. Je m’intéresse à la variation inter-individuelle présente dans les populations naturelles pour la morphologie, le comportement et les caractères reliés à la survie et la reproduction. Je cherche à élucider les mécanismes d’évolution de ces caractères, avec un intérêt particulier pour le rôle de l’environnement et de sa dégradation d’origine anthropique lors de l’urbanisation et/ou des changements climatiques. Pour comprendre comment les organismes peuvent répondre aux contraintes associées à ces changements rapides, il faut comprendre l’hérédité des caractères impliqués dans leur adaptation (outils de génétique quantitative) et mesurer les pressions de sélection que représentent ces changements (sélection naturelle, sélection sexuelle). Peut-être un jour arriverons nous à prédire les changements qui auront lieu dans le futur, par ex. prédire quelles espèces ne pourront pas s’adapter assez rapidement face aux changements climatiques et seront donc menacées. Le cœur de mes projets de recherche repose sur de la science fondamentale : je cherche à comprendre par exemple l’hérédité des caractères pour améliorer nos connaissances dans ce domaine. C’est souvent en cherchant à comprendre comment fonctionne la nature, de manière fondamentale, et non pas appliquée (donc sans but précis d’exploitation de la connaissance) que l’on fait les découvertes les plus.. fondamentales. Ces dernières années, mes recherches m’ont aussi amené à interagir de manière croissante sur des thématiques reliées au changement climatique et à l’urbanisation, ce qui peut paraître plus ‘important’ pour la société.
Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?
Ceci est une question difficile car j’ai souvent l’impression que ma carrière va se résumer à beaucoup de recherches qui mènent à de nouvelles questions plutôt qu’à des réponses : le chercheur cherche plus qu’il ne trouve ! Et puis aussi, on a tendance à penser que nos plus grands succès ce sont les articles publiés dans les plus ‘grands’ journaux. Après réflexion, je crois que ma plus grande réussite est d’avoir contribué à poursuivre un programme d’étude à très long terme (sur les mésanges bleues et les mésanges charbonnières, programme initié en 1976 par Jacques Blondel) pour le mettre à profit de très nombreux projets de recherche en écologie évolutive, en favorisant un environnement de travail respectueux et de collaboration. La recherche est pour moi une activité qui par essence doit être collaborative, dans le sens de la citation qu’on attribue à Helen Keller : « Seuls, nous pouvons faire si peu; ensemble, nous pouvons faire tellement. ». Je suis fière de travailler aujourd’hui avec une équipe de jeunes chercheurs (étudiant.e.s et postdocs) très talentueux, curieux, passionnés, et qui s’entraident dans leurs objectifs. Les accompagner durant quelques années, leur apprendre à devenir des chercheurs indépendants, puis les voir s’épanouir dans la recherche, m’apporte une énorme satisfaction.
Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?
Je travaille actuellement à la rédaction d’un projet collaboratif. Notre vie de chercheur tourne aussi beaucoup autour de la recherche de financement ! Dans ce projet, nous utiliserions les mésanges charbonnières, une de mes espèces modèles d’étude, pour comprendre si les changements climatiques et l’urbanisation ont des effets synergiques sur les oiseaux. En écologie évolutive, le changement climatique et l’urbanisation sont surtout étudiés séparément. Pourtant, l’effet d’îlot de chaleur urbain (le fait qu’il fait plus chaud en ville que dans les milieux naturels environnants) peut permettre de comprendre comment les organismes s’adaptent (ou non) face à un réchauffement, et il peut aussi accroître le défi des organismes citadins face au changement climatique, en particulier durant les événements climatiques extrêmes (par exemple les vagues de chaleur). Ce projet visera à comprendre et à prévoir l’impact des effets interactifs du changement climatique et de l’urbanisation sur l’évolution et la dynamique des populations. Nous combinerons pour ce projet des approches expérimentales locales et des collaborations à l’échelle de l’Europe.
Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?
Au début de ma carrière, je pensais n’être confrontée à aucune discrimination en tant que femme. Je considérais que j’avais beaucoup de chance de travailler dans un domaine de recherche dans lequel nous avons quasiment la parité en nombre de femmes et d’hommes. Mais j’ai par la suite écouté parler des sociologues sur les inégalités Homme-Femme, et j’ai suivi une formation au leadership pour les femmes scientifiques avec la fondation Homeward Bound, qui a pour ambition de créer un réseau de 1000 femmes scientifiques qui veulent agir en faveur de la planète. Cette formation m’a ouvert les yeux sur des choses que je vivais au quotidien et que je ne remarquais même pas. Les remarques sexistes bien entendu, que je ne présenterai pas comme une ‘difficulté’ car finalement on vit ça au quotidien en France, donc ça finit par nous glisser dessus. Mais surtout le manque de reconnaissance, la différence de traitement, les biais inconscients. Par exemple, j’ai commencé à remarquer que lors des réunions, les femmes ne sont pas écoutées comme les hommes. J’ai aussi réalisé que si mon domaine de recherche affiche une parité homme/femme en nombre total de chercheur, lorsqu’on regarde ces chiffres dans les détails, les femmes sont surtout dans les postes avec peu de responsabilité, et plus on ‘monte’ dans les grades supérieurs, moins il y a de femme, pour atteindre environ 10% dans les postes à hautes responsabilités. Une conséquence est que les femmes qui accèdent aux postes de professeure ou directrice de recherche sont sur-sollicitées pour faire partie de jurys ou de comités dans lesquels la parité est recherchée. La plus grande difficulté que j’ai ressentie est celle de trouver un bon équilibre entre ma vie personnelle et notamment mon statut de maman, et ma vie personnelle, car la société dans son ensemble est organisée et formatée pour accorder des libertés et des contraintes différentes aux mamans et aux papas. Lorsque j’ai postulé à des bourses prestigieuses, j’ai reçu des remarques sur le fait que j’essayais de mener de front une carrière scientifique et une vie de famille et que ce ne serait pas compatible, je doute que mes collègues masculins reçoivent ce genre de remarques.
Quelle est la situation au plan de l’égalité Femmes-Hommes dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?
J’ai l’impression que pour aider les femmes scientifiques dans leurs carrières, il faudra non seulement leur apporter un soutien en interne, mais surtout changer les règles de fonctionnement de notre société, comme par ex. les congés et les temps partiels parentaux. Ce changement de fonctionnement de notre société doit passer par une prise de conscience : nombreux de mes collègues pensent que la discrimination sexiste, c’est du passé, alors que malheureusement, ce n’est pas le cas. Il faut donc en parler, témoigner, et ne pas laisser passer les remarques ou gestes sexistes qui continuent à faire partie du quotidien dans beaucoup d’environnements scientifiques et académiques. Pour ce qui est d’apporter un soutien aux jeunes femmes scientifiques, nous avons à Montpellier une communauté très active d’adhérent.e.s à l’association Femmes et Sciences, et Dr May Morris a créé en 2015 un programme pionnier de mentorat pour les doctorantes de Montpellier qui accompagne aujourd’hui 70 étudiantes sur une année, en leur proposant des rencontres mensuelles avec un.e mentor.e ainsi que des ateliers et cercles de discussion. Les rencontres permettent l’échange d’expérience et l’apport de conseils utiles à la poursuite d’une carrière scientifique, mais aussi de répondre aux questions individuelles que peuvent se poser les jeunes femmes, notamment par rapport à l’articulation de leur vie personnelle avec leur projet professionnel. Ce mentorat aide grandement les étudiantes à se fixer des objectifs et à mieux appréhender et valoriser leurs compétences. Inspirés par le succès du mentorat à Montpellier, d’autres programmes similaires sont aujourd’hui en train de naître dans plusieurs villes françaises.
Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ?
La recherche c’est une histoire de passion, de patience, de curiosité, d’imagination, d’observation, d’esprit d’équipe, d’esprit critique, de rigueur, de persévérance, de débrouillardise, d’intégrité. Si vous vous reconnaissez dans ces qualificatifs, foncez ! Poursuivez vos rêves, exprimez haut et fort vos ambitions et ne vous laissez pas dire qu’elles sont irréalistes, aidez-vous les unes les autres, et n’hésitez pas à demander de l’aide.
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