Femmes En Tête 2023 – Lydia Sosa-Vargas
A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2023 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.
Lydia Sosa-Vargas est Chargée de recherches CNRS en chimie moléculaire à L’Institut Parisien de Chimie Moléculaire (IPCM).
Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?
J’ai choisi de faire des études de chimie parce que j’étais fascinée par la façon dont les nouveaux matériaux étaient créés. Au cours de mes études, j’ai eu des professeurs formidables dans le domaine de la chimie organique, qui l’ont rendu passionnant et facile à comprendre. Je trouve que ce domaine de la chimie est assez semblable à la cuisine, car il faut développer ou adapter des « recettes » pour obtenir de nouveaux matériaux. J’ai ensuite découvert le domaine de l’électronique organique au cours de mes études de doctorat, où j’ai travaillé sur la synthèse de porphyrines et de phtalocyanines et leur utilisation dans les transistors et les capteurs de gaz. Cette belle famille de molécules est couramment utilisée comme pigments bleus/verts, mais elle a un large éventail d’applications dans différents domaines. J’ai non seulement appris à concevoir et à synthétiser de nouvelles molécules de cette famille, mais aussi à étudier leurs propriétés optiques et électroniques : qu’est-ce qui leur donne leur couleur unique ? Comment puis-je modifier leurs propriétés pour les adapter à l’application finale dans différents dispositifs ? Comment puis-je améliorer leurs propriétés ? Ce sont des questions sur lesquelles je continue à travailler, mais maintenant sur une gamme plus variée de molécules.
J’ai été inspirée (et je le suis toujours) par plusieurs professeurs, des mentors que j’ai eu tout au long de ma vie. Ceux qui m’ont transmis leur passion pour les sciences et la chimie dès mon plus jeune âge, et les femmes extraordinaires qui brisent les barrières pour permettre à d’autres personnes comme moi d’avoir la possibilité de faire carrière dans les sciences. Je suis heureuse de dire que j’ai tout un réseau de modèles inspirants dans mon institut, mon université et mon domaine de recherche !
Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ?
Je travaille dans le domaine de l’électronique organique, plus précisément sur la conception, la synthèse et la caractérisation de petites molécules et de polymères organiques qui présentent des propriétés optiques ou électroniques. Ces matériaux sont principalement basés sur le carbone, l’hydrogène, l’oxygène et d’autres éléments plus abondants, ce qui rend ce domaine plus durable par rapport aux dispositifs électroniques basés sur des composés inorganiques. Grâce à l’électronique organique, nous avons pu accéder à des dispositifs plus efficaces à moindre coût. Les écrans et affichages à cristaux liquides (LCD) et OLED utilisent des composés organiques comme matériaux actifs.
Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?
Une partie de mes recherches porte sur l’ingénierie chimique des nanomatériaux, et plus particulièrement sur le graphène, un réseau hexagonal bidimensionnel d’atomes de carbone. Dans le cas des nanomatériaux, nous parlons de matériaux dont la taille est inférieure à 100 nm (1 m = 1 000 000 000 nm). Notre objectif est de modifier les propriétés du graphène en « collant » différentes molécules organiques à sa surface. Nous sommes maintenant parvenus à le faire de manière contrôlée en ajustant simplement la conception de nos blocs de construction moléculaires. C’est important si nous voulons fabriquer à l’avenir des dispositifs électroniques de plus en plus petits, flexibles et efficaces.
Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?
Cette année s’annonce très prometteuse, nous avons de nombreuses publications qui devraient être soumises très prochainement et qui présentent le travail que nous avons effectué sur la fonctionnalisation du graphène depuis 4 ans. Nous attendons maintenant les résultats sur les opportunités de financement pour aller plus loin dans ce projet.
Il y a aussi quelques nouvelles collaborations qui commencent avec des chercheurs de mon laboratoire, et aussi du Mexique qui est mon pays d’origine. Tous ces futurs projets sont axés sur le développement de matériaux plus durables pour l’électronique organique.
Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?
Oui, j’ai malheureusement vécu de nombreuses situations désagréables pour la seule raison d’être une femme. Il a été difficile de naviguer dans la vie en s’inquiétant de l’image que l’on donne sur le lieu de travail et en remettant constamment en question sa valeur. Devoir supporter des commentaires apparemment « innocents », comme « sois moins agressive/émotive », « tu n’as eu le prix/l’emploi/etc. que parce que tu es une femme… » et même se faire dire d’être plus souriante et être harcelée sexuellement dans les conférences est malheureusement encore quelque chose que les femmes vivent. Nous avons tendance à ne pas parler de nos mauvaises expériences parce que nous ne voulons pas attirer l’attention sur nous, comme cela m’est arrivé au début de ma carrière. Cela m’est arrivé au début de ma carrière. Cependant, je pense maintenant qu’il est important d’en parler ouvertement, car ce n’est pas seulement un problème de femmes, mais aussi de la communauté LGBTQIA+ et des personnes issues de groupes minoritaires. Pour que les gens agissent, nous devons faire prendre conscience de l’omniprésence de cette mauvaise situation.
Quelle est la situation au plan de l’égalité Femmes-Hommes dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?
Selon le rapport 2022 du ministère de l’enseignement et de la recherche, seuls 28 % des chercheurs sont des femmes, même si le nombre de femmes poursuivant des études universitaires est supérieur à celui des hommes (53 % contre 46 %). Ce chiffre s’aggrave encore à mesure que l’on grimpe dans la hiérarchie de l’industrie et du monde universitaire. Ce phénomène, appelé « le tuyau percé/leaky pipeline », se produit partout dans le monde, et est plus marqué dans les domaines des sciences, des technologies et de l’ingénierie.
Il n’existe pas de solution universelle à ce problème, car chaque communauté, chaque pays et chaque situation sont différents. Cependant, j’ai le sentiment que les indices que nous utilisons en tant que communauté scientifique pour définir l' »excellence » sont mal placés et favorisent les attitudes individualistes. Ils doivent être « recalibrés » et tenir compte de tout le travail « invisible » que les femmes et les groupes minoritaires accomplissent : tutorat d’étudiants, services à l’institution et à la communauté, enseignement, etc.
Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ?
Je les encourage vivement à suivre leur passion. Tout ce qui vaut la peine demande des efforts, mais il est vraiment gratifiant d’investir son temps dans ce que l’on aime. Ma carrière m’a permis de découvrir de nouveaux pays, de nouvelles cultures, de nouveaux environnements de travail et, surtout, un réseau de scientifiques qui s’efforcent de créer une communauté diversifiée, équitable et inclusive. J’espère que l’avenir pour les nouvelles générations comportera beaucoup moins de barrières et qu’il n’y aura plus de tuyaux non-étanches vers le sommet !
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