Femmes En Tête 2023 – Sibylle Gollac

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Femmes En Tête 2023 – Sibylle Gollac

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A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2023 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.

Sibylle Gollac est chargée de recherche CNRS en sociologie au Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris.


Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?

Mon père, statisticien, travaillait avec des sociologues, et il est devenu lui-même sociologue. Mais il ne parlait pas de son travail à la maison. Au lycée, j’étais en filière scientifique. J’aimais aussi les disciplines « littéraires ». J’ai donc choisi de faire une « hypokhâgne scientifique ». Mon enseignante de SES, Simone Chapoulie, m’y a fait découvrir la sociologie. En bénéficiant ensuite d’un « enseignement par la recherche », alors particulièrement développé en sciences sociales, l’envie de devenir chercheuse m’est venue. Des cours comme ceux de Florence Weber, ma future directrice de thèse, m’ont convaincue que la sociologie était une science rigoureuse, empiriquement et conceptuellement. Et que la famille, mon objet de recherche, n’était pas une sphère de la vie sociale protégée et un peu mièvre, mais un espace fait de rapports de pouvoir et de domination. Grâce à ces rencontres, j’ai découvert que faire de la recherche en sociologie, c’était à la fois lire, être sur le terrain, programmer pour exploiter des données statistiques, écrire, discuter et faire discuter son travail. Que c’était un sport de combat (pour reprendre une expression de Pierre Bourdieu), exigeant et complet.

Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ?

Je travaille sur les relations économiques dans la famille, notamment sur ce qui se joue au moment des successions et des séparations conjugales. J’étudie ainsi comment se produit et se transmet la richesse de génération en génération, et quelle place ces arrangements économiques familiaux prennent dans les trajectoires et les conditions de vie des gens. On peut ainsi mieux comprendre comment se maintiennent et se transforment les inégalités sociales entre familles, et donc la structure sociale. Mais il s’agit aussi de comprendre comment ces arrangements économiques familiaux produisent des inégalités au sein de chaque famille, en particulier des inégalités de genre. Pour lutter contre ces inégalités de genre et de classe, il faut étudier ce qui se passe sur le marché du travail, dans les entreprises, les mondes de la finance, mais aussi ce qui se passe au cœur de nos relations les plus intimes, au sein de la famille.

Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?

J’appartiens à une génération de chercheuses et de chercheurs qui, au sein des sciences sociales, ont tenté de développer des recherches collectives avec une division du travail la plus horizontale possible. Ça n’est pas facile, compte tenu de la précarisation de nos métiers. Je suis fière de faire partie d’un collectif qui, depuis plus de dix ans, travaille sur le traitement judiciaire des séparations conjugales : nous avons même écrit et signé un livre à onze. Avec ma collègue Céline Bessière, nous nous sommes appuyées, entre autres, sur cette recherche collective pour rédiger un autre livre, Le genre du capital. Nous y montrons que, dans la société française contemporaine, la transmission de la richesse s’appuie sur la définition de rôles genrés au sein de la famille et un traitement différencié des femmes et des hommes (les biens structurants des patrimoines familiaux se transmettent préférentiellement de pères en fils, et le patrimoine des hommes est davantage protégé des aléas de la vie conjugale). Autrement dit, nous montrons que la reproduction de la société de classe est étroitement liée à celle de l’ordre du genre, et que l’institution familiale participe pleinement à la production des inégalités dans notre société. Nous nous attachons à rendre ces résultats accessibles à un public au-delà de la communauté scientifique.

Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?

Je continue à travailler, avec le collectif JustineS, sur les inégalités sociales face à la justice. Le genre du capital paraît en anglais ce 7 mars 2023, et cela va aussi me permettre de discuter de ces résultats avec des collègues de différents pays.

Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?

Je ne vois pas bien comment être une femme aurait pu m’aider. Disons que les femmes, en sciences sociales, assument davantage le fait qu’être ce qu’elles sont socialement – des femmes issues de milieux sociaux variés et soumises à des discriminations différentes selon leurs origines – leur donne des regards différenciés sur les réalités qu’elles étudient. Sans doute parce que la « neutralité » du travail des femmes, comme des chercheur·ses de toutes les minorités, est toujours davantage questionnée. Cela nous aide peut-être à produire des données et des conceptualisations originales par rapport à celles de nos illustres prédécesseurs.

Quelle est la situation au plan de l’égalité Femmes-Hommes dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?

Dans mon laboratoire, beaucoup de collègues sont sensibilisé·es à ces questions. On peut y parler des discriminations subies, des violences au travail. Mais les institutions qui nous emploient ne suivent pas. Ce n’est pas un manque de volonté des individus en charge de ces questions, mais un manque de temps, de formation, de moyens pour régler concrètement les situations. Les problèmes se gèrent essentiellement par la mobilisation de bonnes volontés et de relations interpersonnelles, laissant les personnes moins intégrées et précaires, démunies et isolées.

Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ? 

Le monde de la recherche est devenu très concurrentiel. Il est difficile, aujourd’hui, d’y travailler dans de bonnes conditions et d’y être reconnue. Il ne faudrait pas que ce métier ne soit plus accessible qu’à des rentiers ayant les moyens de tenter une carrière risquée. Car, pour bien comprendre la société, on a besoin que les regards qui se portent sur elle soient les plus variés possible. J’espère que des personnes de tous genres continueront à avoir envie d’explorer les mécanismes de fonctionnement de nos sociétés. C’est ça la sociologie : découvrir et comprendre des mondes sociaux très variés, des villes, des campagnes, des coins du monde, des professions, des intérieurs, des sexualités, des sports, des pratiques artistiques dont on ignorait tout ou sur lesquelles on peut tout d’un coup porter un autre regard. Un regard scientifique, mêlant objectivité et prise en compte de sa subjectivité, compréhension et mise à distance. Mais qui permet ensuite de proposer des clés pour agir, d’armer les luttes contre les exploitations et les inégalités dont notre monde est fait. 


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