Femmes En Tête 2023 – Caroline Champenois

Le portail des sociétés savantes académiques en France

Femmes En Tête 2023 – Caroline Champenois

caroline champenois femmes en tete

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2023 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.

Caroline Champenois est Directrice de recherche en physique quantique au CNRS, au laboratoire Physique des Interactions Ioniques et Moléculaires de L’Université d’Aix Marseille.


Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?

J’ai grandi très loin du monde de la recherche et des universités mais j’ai développé très tôt un goût profond pour la physique grâce à mes lectures passionnées des aventures de Sherlock Holmes. J’étais fascinée par la démarche de ce personnage qui partait de l’observation fine, rigoureuse, et sans a priori de chaque détail de la scène pour construire des situations où le ou la coupable allait se trahir. Mes premiers TP de physique m’ont convaincue que je pouvais moi aussi mener une telle démarche, mais de façon moins risquée, en traquant les lois de la nature plutôt que des assassins. C’est la mise en oeuvre d’une démarche scientifique basée sur la confrontation d’un modèle et de l’expérience qui m’a conduite vers la physique plutôt que l’attrait d’un domaine en particulier.

Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ?

Je suis physicienne, expérimentatrice, et ma spécialité est la physique quantique, plus particulièrement l’interaction entre la lumière et les atomes. C’est un beau terrain d’enquête pour une Sherlock Holmes car les phénomènes observés défient souvent l’intuition et les expériences qui démasquent les coupables sont très subtiles. C’est un domaine où l’expérience est confrontée à des notions très fondamentales qui concernent notre conception de la physique elle-même et la signification de la mesure. Nous utilisons des systèmes suffisamment simples pour pouvoir y tester des lois fondamentales et des modèles inspirés d’autres domaines de la physique. La société profite de plusieurs dispositifs basés sur ces phénomènes fondamentaux pour la navigation et le positionnement (GPS, Galileo…) à travers la mise au point d’horloges atomiques toujours plus stables et compactes, ou pour résoudre des problèmes jusqu’ici inaccessibles aux ordinateurs conventionnels grâce au développement des ordinateurs quantiques.

Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?

Quand je me retourne sur les plus de 20 années qui ont suivies ma thèse, j’y vois beaucoup de contributions qui ont permis de faire avancer différents projets de recherche autour du contrôle laser des atomes chargés, confinés dans des pièges radio-fréquence, dans notre groupe à Marseille, mais aussi chez des collègues. La découverte d’un protocole de manipulation laser basé sur trois lasers cohérents mais de longueurs d’onde très différentes est surement la plus féconde. Elle nous permet d’explorer un domaine de spectroscopie encore peu visité, le domaine THz, tout en offrant une méthode alternative pour sonder des transitions jusqu’ici inaccessibles, dans certaines molécules, par exemple. 

Je suis aussi fière de savoir que certaines de mes publications ont inspiré et guidé des jeunes chercheurs et chercheuses qui entraient dans le domaine. Mon champ d’action dépasse la construction et le partage des connaissances et concerne aussi mon engagement en faveur de plus de femmes en Physique, au sein de la commission Femmes et Physique de la Société Française de Physique. Dans ce domaine, je suis très fière que notre mentorat pour jeunes physiciennes ait permis de soutenir dans leur début de carrière plusieurs jeunes collègues qui sont aujourd’hui des scientifiques très reconnues dans leur domaine.

Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?

Après l’installation dans quelques mois de notre groupe dans des locaux totalement rénovés, j’espère que nous pourrons poursuivre dans de meilleures conditions techniques nos expériences qui exploitent le couplage entre la dynamiques des ions piégés et leur interaction avec plusieurs lasers pour une meilleure description de cette dynamique complexe. Une des applications en vue est la mise au point d’un détecteur non destructif pour des molécules aussi lourdes que des protéines ou des virus. Notre volonté est aussi d’accueillir au sein du groupe de jeunes collègues  pour qu’ils ou elles viennent développer leurs projets de recherche au sein d’un environnement que nous avons patiemment construit au fil des années et que nous puissions faire profiter de nouveaux projets de notre savoir-faire.

Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?

Être une femme dans un environnement très masculin ne m’a jamais aidé mais n ‘a pas non plus été une source de difficulté. Mon premier enfant est né pendant ma thèse et le soutien de mon directeur de thèse et de tout le laboratoire a été essentiel pour que je puisse savourer de devenir une jeune maman en même temps qu’une jeune docteure, sans mettre en péril mes chances de devenir chercheuse. Par la suite, j’ai conscience d’avoir fait quelques choix  pas du tout judicieux pour la promotion de mes résultats scientifiques car je voulais ménager ma vie de famille. Des hommes peuvent être amenés à faire les mêmes choix, mais mon expérience me montre que ce sont plus souvent les femmes qui les font. C’est donc plutôt l’exigence de disponibilité qui sévit dans les métiers de la recherche qui m’a créé des problèmes. Pendant plus de 20 ans, j’ai eu la chance de travailler dans une équipe très mixte où les enjeux d’aménagement du travail en groupe face aux contraintes personnelles étaient respectés de tous, ce qui m’a épargné de nombreuses sources de tensions qu’il m’arrive de croiser chez mes collègues et qui peuvent être très destructives.

Quelle est la situation au plan de l’égalité Femmes-Hommes dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?

Le pourcentage de femmes dans mon domaine est de l’ordre de 22 %, avec des légères modulations en fonction de la méthode de comptage choisie. C’est très faible, et ce qui est encore plus inquiétant est que la tendance est plutôt à la baisse. Je pense que l’augmentation de la précarité dans les métiers de la recherche détourne déjà et va détourner encore plus de jeunes gens d’une carrière en recherche académique, hommes ou femmes. Les femmes jeunes docteures étant déjà en nombre trop faible, le fait qu’on ne sache pas les retenir dans le monde académique, se manifeste par une chute dramatique du nombre de candidates dans beaucoup de domaines de la physique. Pour améliorer rapidement la situation, il faudrait revenir à un nombre de recrutements sur des postes permanents proche de ce qui se passait il y a 20 ans, avec un age moyen de recrutement autour de 30 ans. Ceci doit s’accompagner d’une réflexion commune sur les critères de sélection pour ne pas laisser filer les talents féminins.

Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ? 

Ce métier de chercheuse offre encore de nombreuses voies pour s’épanouir  et rester enthousiaste chaque matin, pour rejoindre son laboratoire. Celles qui me sont le plus chères sont la liberté, qui requiert néanmoins des moyens financiers pour pouvoir en user, la richesse des collaborations, qu’elles soient à l’échelle d’un laboratoire, d’un pays ou du monde entier, et le partage des connaissances sans souci de compétition, entre spécialistes chevronnés aussi bien qu’avec les plus jeunes qui passent par nos laboratoires. À toutes celles qui sont tentées par cette aventure, je conseille de très tôt s’entourer d’alliés. En progressant le long de ce chemin bien long et dont les multiples directions ne sont pas toutes clairement indiquées, il faut pouvoir compter sur des conseils bienveillants, qu’ils viennent d’étudiants ou étudiantes  plus âgées, d’enseignant.e.s, puis ensuite de gens croisés dans  les laboratoires de recherche. À ce moment là, souvenez vous que plusieurs associations ou sociétés savantes, comme Femmes & Sciences ou la Société Française de Physique pourront vous aider.


Découvrez la suite des portraits toute la semaine sur nos réseaux sociaux… et pour ne rien louper de l’actualité du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France, abonnez-vous !
Facebook
Twitter
Instagram
Linkedin
Youtube

 

LinkedIn
LinkedIn
Share