Femmes En Tête 2022 – Estelle Ingrand-Varenne

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Femmes En Tête 2022 – Estelle Ingrand-Varenne

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2022 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.

Estelle Ingrand-Varenne est chargée de recherche au Centre de recherche français à Jérusalem (USR 3132). Elle est également détachée au Centre d’études supérieures de civilisation médiévale de Poitiers (UMR 7302).


Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?

Ma formation est sinueuse car j’ai fait des études de Lettres Classiques pour devenir professeur de latin et grec en collège, mais j’ai changé de voie pour le doctorat. En lisant un article d’épigraphie médiévale montrant tout le potentiel de cette discipline encore jeune, j’ai choisi de faire un doctorat en histoire du Moyen Âge, en exploitant mes compétences en latin et en histoire des langues : ma thèse portait sur le passage du latin au français dans les inscriptions de l’Ouest de la France du XIIe au XIVe s.

Je n’ai pas eu de modèle proche ayant obtenu un doctorat, et mes rêves d’enfant étaient plutôt tournés vers l’archéologie, avec la figure cinématographique d’Indiana Jones qui a marqué toute ma génération. Cependant, tous mes professeurs de lettres/littérature depuis le lycée et la prépa Hypokhâgne et Khâgne m’ont beaucoup marquée.

Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ?

Je travaille sur les écritures épigraphiques du Moyen Âge, c’est-à-dire sur la pierre, la peinture, la mosaïque des monuments, ou le verre et le métal des objets, dans la Méditerranée orientale, du VIIe au XVIe s. J’essaie de comprendre comment les Latins arrivant en Orient – marchands, croisés, pèlerins, soldats – se sont appropriés graphiquement, tout autant que spatialement et politiquement, les lieux, dont les lieux saints du Christianisme, mais aussi comment cette écriture en alphabet latin, (inscriptions et graffitis) interagit avec l’écriture en grec, en arabe, en arménien, etc. qui se trouvent dans les mêmes espaces. 

L’impact d’une telle recherche est pluriel : la création de nouvelles connaissances sur l’écriture épigraphique au Moyen Âge et la révélation d’une histoire différente des textualités médiévales, une histoire hors de portée des historiens des textes classiques ; la mise à disposition pour tous de textes inédits ; un vrai travail interdisciplinaire, non seulement entre chercheurs, mais aussi entre des corps de métiers différents : conservateurs de musée, archivistes, restaurateurs ; la création d’une communauté internationale d’experts en épigraphie toute écriture ; l’exposition virtuelle prévue avec le Musée de Cluny (Paris) et la série documentaire sur la mission à Chypre mettent/vont mettre en avant dans la sphère publique une discipline et des textes peu connus, elles permettront sans aucun doute de sensibiliser et de mener une réflexion large sur les enjeux patrimoniaux de ce matériel fragile en train de disparaître.

Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?

Ma plus grande réussite est l’obtention d’un projet ERC Starting grant nommé GRAPH-EAST, financé par l’Europe à hauteur d’1,5 million d’euros pour 5 ans (2021-2026) ; c’est ce projet qui va permettre d’avoir des résultats de grande ampleur puisqu’il concerne 10 pays, 10 siècle et 3000 textes ; il permet de créer un nouveau champ de recherche, et entend relever 3 défis pour décloisonner et proposer une vision dynamique de l’épigraphie, en réunifiant inscriptions et graffiti, en étudiant les écritures en contact, et en pensant l’épigraphie en mouvement entre Orient et Occident.

Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?

Dans les années à venir, mon but est de mener à bien ce projet GRAPH-EAST avec toute mon équipe, en allant sur le terrain en Méditerranée (de la Grèce à l’Egypte en passant par la Turquie, Chypre et Israël où je suis actuellement détachée), de former de jeunes chercheurs en épigraphie, et de terminer mon habilitation à diriger des recherches sur l’épigraphie du Royaume latin de Jérusalem au XIIe-XIIIe s.

Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?

Je n’ai personnellement jamais rencontré de difficultés à ce niveau-là, et ai au contraire eu l’impression que cela m’a aidée, sans pour autant avoir de preuves évidentes, mais tout simplement parce que ma génération hérite et bénéficie des combats précédents.

Quelle est la situation au plan de l’égalité Femmes-Hommes dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?

La situation en histoire a été très bien décrite en 2018, dans la tribune « sortir du Blois » (juste avant les Rendez-vous de l’histoire de Blois) signée par 520 historiennes (dont je fais partie). Cette tribune dénonce la surmasculinisation de la discipline historique et les discriminations endurées, la trop lente féminisation du corps académique et l’absence de visibilité des travaux des femmes. Quelle que soit la science concernée, les femmes disparaissent progressivement à mesure que l’on s’élève dans les grades et les fonctions. Le texte de l’ensemble de la tribune est consultable à ce lien : https://lesfaiseusesdhistoire2018.wordpress.com/ ; il propose plusieurs solutions pour faire évoluer la situation et auxquelles je souscris, comme de défendre la représentation égalitaire des femmes dans les comités de recrutement et jurys de concours, modifier les critères d’évaluation en défendant une excellence qualitative plus que quantitative, prendre en compte les contraintes spécifiques des carrières féminines (notamment « les trous » dans le CV), lutter contre l’invisibilité à toutes les échelles etc.

Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ? 

Le message que j’adresserais serait d’abord de croire en elles-mêmes, de suivre leurs intuitions et leurs passions ; puis, de ne pas hésiter à demander un conseil, un avis, de l’aide, car on ne travaille jamais seul, et il faut être bien entourée à tous les niveaux ; de se donner les moyens de réaliser leurs rêves et ambitions, donc être active et foncer ; de ne pas se décourager par les échecs qui sont au contraire très formateurs ; et que rien n’est impossible.


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