Femmes En Tête 2024 – Christina Sizun
A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2024 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.
Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant ?
J’ai fait des études de physique et chimie. Aujourd’hui je fais de la recherche en biophysique. Comment en être arrivée là ? Plusieurs opportunités se sont présentées à plusieurs moments de mon parcours. J’ai dû prendre des décisions et à chaque fois je me suis demandé si je faisais le bon choix. Au lycée, j’étais curieuse et j’aimais apprendre. Faire des études supérieures était important pour moi. Tout m’intéressait, mais j’ai fait le choix d’études scientifiques, en partie parce qu’elles ouvraient des perspectives professionnelles, mais surtout par stimulation intellectuelle. J’ai eu la chance d’avoir plusieurs enseignants qui m’ont fait aimer leurs matières. Cela a donné un sens à ce premier choix. De fil en aiguille j’ai commencé une thèse en chimie physique, parce que les méthodes spectroscopiques m’intéressaient. J’ai ainsi découvert la résonance magnétique nucléaire qui est devenue mon fil conducteur. J’ai opéré un dernier virage en intégrant une dimension biologique dans ma recherche après un post-doc dans un institut de biochimie.
Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ? Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?
Je travaille dans le domaine de la biologie structurale. Depuis quelques années je m’intéresse aux protéines du virus respiratoire syncytial (VRS), responsable de bronchiolites. Ce virus produit 11 protéines qui lui permettent de pénétrer à l’intérieur d’une cellule, d’échapper au système immunitaire et de se multiplier. Les protéines virales sont souvent multifonctionnelles et elles ont des propriétés structurales particulières qui favorisent les interactions avec d’autres protéines. La caractérisation à l’échelle atomique de ces interactions permet de proposer des pistes pour identifier des molécules antivirales qui agissent en inhibant ces interactions. Aujourd’hui des vaccins sont disponibles pour les adultes, ainsi qu’un traitement prophylactique pour les nourrissons. Mais ce traitement n’est pas accessible dans des pays à faible revenu. Cela me motive à poursuivre la recherche sur le VRS. Il y a quelques années, la résolution de la structure tridimensionnelle de la protéine M2-1 du VRS a été une étape importante pour comprendre son fonctionnement : c’était un défi pour moi parce que les logiciels de prédiction de structure n’étaient pas encore aussi performants qu’aujourd’hui et que d’autres méthodes expérimentales avaient échoué.
Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?
Actuellement je travaille sur deux projets différents liés au VRS. Le premier porte sur la réplication, c’est-à-dire l’amplification du matériel génomique du virus. Au sein d’un consortium formé par plusieurs équipes de différents instituts, nous cherchons des molécules qui pourraient inhiber cette étape du cycle viral. Nous venons de synthétiser une nouvelle série de molécules et leur activité doit être testée dans les prochains mois. Plus récemment nous avons commencé à nous pencher sur les protéines du VRS qui interfèrent avec le système immunitaire. Avec mes collègues virologistes nous avons formulé des hypothèses sur les mécanismes mis en jeu. Il faut les valider à présent, ce qui peut prendre plusieurs années.
Dans quelles actions à caractère sociétal êtes-vous impliquée ?
Je suis chercheuse au CNRS, mais je donne des cours dans ma spécialité, surtout au niveau master et doctorat. J’accueille régulièrement des stagiaires dans mon laboratoire, du BTS au master, pour les former et les guider. Mes enseignants et encadrants ont été essentiels pour mon parcours. Ils ont su communiquer leur enthousiasme et m’ont donné confiance en moi-même. Aujourd’hui j’essaie de donner cela en retour. Je suis aussi impliquée dans l’Union Internationale de Biophysique Pure et Appliquée. Cette association soutient des étudiants et de jeunes scientifiques, notamment de pays émergents, grâce à des prix et des bourses de voyage. Ils peuvent ainsi assister à des conférences internationales, présenter leurs travaux et échanger avec des scientifiques de renom. En 2023, j’ai participé au Webinathon organisé pour l’Année Internationale des Sciences Fondamentales pour le Développement Durable pour illustrer comment la biophysique aborde des questions importantes liées à la santé et à la sécurité alimentaire.
Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?
Je ne peux pas dire que j’ai rencontré de difficultés particulières dues au fait d’être une femme. Pendant mes études, j’ai évolué dans un domaine plutôt masculin. Je n’ai pas ressenti de différence de traitement, ni de difficulté à interagir avec mon entourage. Mais je sais que je fonctionne avec un logiciel lié à mon éducation. En tant que fille j’ai été éduquée à prendre en compte les besoins des autres et à être indulgente. Je pense que j’ai travaillé plus dur que si j’avais été un garçon, parce que j’estimais que je n’avais pas droit à l’échec dans le domaine des sciences « dures ». Mais je n’aurais peut-être pas développé la résilience qui m’a permis de tracer mon chemin. De plus, il me paraît important d’être à l’écoute des autres.
Quelle est la situation au plan de l’égalité F-H dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?
Quand je regarde autour de moi, parmi mes collègues ou mes étudiants, ou encore en congrès, j’ai l’impression qu’il y une parité F/H. Les statistiques montrent cependant un déséquilibre progressif quand on monte dans la hiérarchie. Je connais de nombreuses femmes fortes. Certaines ont su s’imposer, d’autres bataillent pour s’imposer. Je pense qu’on a tendance à sous-estimer une femme lorsqu’elle ne se met pas beaucoup en avant. Il faut donc encourager davantage de femmes à se présenter sur des postes à responsabilités, voire à les y imposer. Dans notre métier il est possible de mettre en avant des femmes, et c’est une façon de leur donner un coup de pouce pour qu’elle puissent montrer de quoi elles sont capables.
Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ?
Mon parcours m’a amenée à exercer un métier passionnant dans lequel je me sens utile. Je peux dire c’est que cela en valait la peine. Plus jeune je n’aurais pas pu me projeter là où je suis actuellement, parce que je n’avais pas d’idée précise sur les métiers de la recherche. Il est donc important de s’informer, et encore mieux de venir nous voir dans nos laboratoires. C’est là où ont été générés les savoirs qui vous sont transmis pendant vos études. Je crois qu’il est essentiel de se fixer des buts et d’essayer de les atteindre. Le plus important, c’est le chemin parcouru et d’apprendre à bien se connaître au fur et mesure que l’on progresse. Faites-vous confiance et sachez que vous avez plus de ressources que ce que vous ne pensez.