Femmes En Tête 2024 – Daphné Giorgi
A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2024 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.
Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant ?
Pendant ma scolarité j’avais de bonnes notes en mathématiques, ce qui m’a donné confiance. J’étais aussi très encouragée par mon père, au lycée il faisait les devoirs de géométrie et analyse avec moi, il me montrait différentes façons de comprendre un même concept, on s’amusait beaucoup, c’est sûr que ça m’a donné le goût des mathématiques, j’ai eu de la chance. Au moment de décider d’une spécialisation après le bac, j’hésitais entre langues, puisque j’étais bilingue et avais une passion pour la littérature russe, et les mathématiques. J’ai choisi les mathématiques parce que c’était la matière qui me semblait plus difficile à apprendre en autodidacte et je n’en suis pas déçue !
Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ? Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?
L’intitulé officiel de mon poste est ingénieure de recherche en calcul scientifique, affectée dans un laboratoire de mathématiques. Concrètement ça veut dire que j’ai un rôle d’appui à la recherche, et que je vais accompagner des chercheuses et des chercheurs sur leurs projets, en développant des outils numériques pour faire des calculs et des simulations. Ce type de poste se fait de plus en plus rare, à cause du nombre réduit de postes pourvus et aussi à cause du manque d’attractivité lorsqu’on compare avec le secteur privé. C’est bien dommage, parce que les besoins dans les laboratoires sont là, et si l’on veut que la recherche française soit compétitive et de qualité, il faut investir là-dessus. Avoir un ingénieur de recherche dans un laboratoire permet d’avoir une continuité et un suivi sur les projets, une maintenance sur le moyen et le long terme qu’on ne peut pas garantir avec des contrats à terme.
Le projet sur lequel j’ai le plus travaillé est le développement d’un paquet pour simuler l’évolution de populations dans le temps. C’est un outil qui permet de simuler des populations très hétérogènes, comme par exemple une population de cellules pour observer leur taille au fil du temps, un portefeuille d’assurance pour estimer le prix d’un produit, une population humaine pour prédire la taille de la population et sa composition après un certain nombre d’années. Ce genre de simulation peut vite être très couteuse en temps de calcul et ce paquet permet de gagner énormément en temps d’exécution.
Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?
Je travaille dans un laboratoire de probabilités et statistiques, et j’ai pour l’instant concentré mes développements sur des modèles de probabilité. Je me tourne en ce moment aussi vers les statistiques, je désire ainsi continuer à travailler sur ces deux voies en parallèle, pour pouvoir être d’appui au plus grand nombre.
Dans quelles actions à caractère sociétal êtes-vous impliquée ?
On ne maîtrise vraiment un sujet que lorsque nous sommes capables de l’expliquer à quelqu’un d’autre, c’est une des raisons pour lesquelles je suis investie dans l’enseignement en master et que j’y tiens particulièrement, c’est un bon moyen de me tenir à jour. Au niveau de mon laboratoire, je co-organise un séminaire d’outils numériques pour les mathématiques, qui a pour but de donner aux collègues des clefs pour découvrir et mieux utiliser le numérique dans leur activité de recherche. En dehors de ma vie professionnelle, j’ai participé en tant qu’enseignante bénévole à plusieurs éditions de « Mat’Les vacances », une colonie de vacances absolument magnifique, où une trentaine d’élèves de première scientifique spécialité mathématique motivés par les études supérieures et de situation modeste passent 10 jours en Haute-Savoie pour faire des mathématiques approfondies et du sport dans une ambiance « colo ». Quand je pense équipe de choc je ne peux pas oublier les journées « Filles, Maths et Informatique : une équation lumineuse », que je co-organise avec quelques collègues de Sorbonne Université, avec l’appui des associations femmes & mathématiques, Animath et la Fondation Blaise Pascal, et le soutien du Ministère de l’Éducation nationale. Lors de ces journées, une centaine de jeunes filles volontaires viennent s’informer sur les métiers liés aux mathématiques et à l’informatique, travailler sur le poids des stéréotypes en lien avec ces disciplines et rencontrer des femmes scientifiques travaillant dans ces domaines.
Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?
La difficulté principale que j’ai rencontré dans mon activité est sans doute personnelle et c’est l’autocensure. Je pense que cette autocensure est très féminine, c’est un mélange de peur et de perfectionnisme qui nous fait craindre de ne pas être à la hauteur, alors que ce n’est qu’en se lançant et en faisant les choses qu’on apprend et qu’on finit par bien les faire.
Côté avantages, un des clichés sur les femmes est qu’elles sont sociables, ce qui n’est pas vrai pour toutes mais ça l’est dans mon cas et ça m’a certainement aidé à plusieurs reprises. Bien que nous travaillions beaucoup devant nos ordinateurs, je pense qu’il ne faut absolument pas oublier de soigner nos interactions humaines.
Quelle est la situation au plan de l’égalité F-H dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?
La situation dans mon domaine est malheureusement assez catastrophique. Trop peu de femmes, et le taux baisse quand on passe sur les postes à plus haute responsabilité. Mais je suis quelqu’un de positif, j’ai bon espoir que ça va s’améliorer. Je pense qu’il faudrait avoir le courage de changer les règles des concours des grandes écoles et des concours qui suivent, et qu’il faudrait mettre une limite au ratio de garçons. L’argument qui est souvent opposé à cette démarche est que ça risque de faire baisser le niveau des concours, mais je pense que le panier dans lequel on pioche est rempli de très bons profils, et qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter. On dit qu’on vise l’excellence, mais les critères qui définissent cette excellence sont très masculins et récompensent des profils individualistes et compétitifs, alors qu’il y a plusieurs façons d’être excellents à mon avis.
Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ?
Faites quelque chose qui vous plaît et ne vous censurez pas, si vous hésitez entre tenter une voie qui vous semble difficile mais qui vous plaît et une autre qui est plus simple et vous plaît moins, foncez sans hésiter vers la plus difficile.