Femmes En Tête 2025 – Violetta Zujovic
Chercheuse CR1 INSERM. Cheffe d’équipe « Métabolisme Immunité et Neurodégénérescence », Directrice scientifique de la plateforme d’analyse de données, Membre du Comité Equité de l’Institut du Cerveau. Présidente-élue du network ALBA.

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2025 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.
- Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ?
Je savais que je voulais travailler sur les maladies neurologiques, mais je ne me voyais pas devenir médecin. Les métiers de la recherche m’ont donc semblé être le bon compromis pour contribuer à la découverte de nouveaux médicaments.
- Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?
Je dirais que quelques enseignantes tout au long de mon parcours m’ont inspirée, mais ce qui me dérangeait déjà à l’époque, c’était le manque criant de modèles féminins dans la science, en dehors de la figure emblématique de Marie Curie. Cette absence de diversité créait une véritable dissonance : d’un côté, il y avait les maîtresses de conférences et les chercheuses talentueuses que j’ai rencontrées et admirées au fil de mes études, et de l’autre, une sous-représentation flagrante de ces femmes dans les manuels scolaires, les livres de sciences et les médias. Ce décalage rendait difficile pour les jeunes filles de se projeter dans une carrière scientifique, faute de modèles visibles et accessibles.
- Sur quel sujet travaillez-vous ?
Je suis neuro-immunologiste, une discipline qui se situe à l’intersection des neurosciences et de l’immunologie. Mon travail consiste à étudier le rôle des cellules immunitaires dans le développement des maladies neurologiques, mais aussi à comprendre comment ces cellules peuvent contribuer à protéger et réparer le système nerveux. Je m’intéresse particulièrement aux mécanismes par lesquels le système immunitaire interagit avec le cerveau, que ce soit dans des contextes pathologiques comme les maladies neurodégénératives (telles que la sclérose en plaques ou les leucodystrophies) ou dans des processus de défense et de régénération. Mon objectif est de mieux comprendre ces interactions complexes afin d’ouvrir la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques pour traiter les troubles neurologiques.
- En quoi est-il important pour la science ? et pour la société ?
Nos cellules immunitaires, véritables sentinelles de notre homéostasie, constituent selon moi une cible privilégiée pour restaurer un fonctionnement optimal du cerveau. Mon travail explore notamment comment notre parcours de vie et notre histoire immunitaire individuelle peuvent moduler la vulnérabilité, la progression et la gravité des maladies neurologiques. Cette compréhension approfondie pourrait, à long terme, ouvrir la voie au développement de la médecine de précision et à une prise en charge personnalisée des patients, adaptée aux spécificités de leur profil immunitaire et de leur trajectoire personnelle.
Les maladies neurologiques représentent un défi sociétal majeur, ce qui m’a motivée à rejoindre l’Institut du Cerveau afin de contribuer, à mon échelle, à l’amélioration de la prise en charge des patients concernés.
- Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?
Mon équipe a été pionnière dans la mise en place de modèles humanisés de la sclérose en plaques en greffant des lymphocytes humains dans des lésions démyélinisées induites dans la moelle épinière de souris, mimant ainsi des caractéristiques spécifiques des patients. Notre originalité s’étend au-delà de la biologie, puisque nous construisons également une machinerie moléculaire virtuelle basée sur une méthode de théorie des réseaux pour identifier les gènes régulateurs essentiels au contrôle de l’ensemble des gènes de ce réseau. Je mets également un point d’honneur à souligner l’importance de l’analyse de données et des méthodes biostatistiques à mesure que nos projets deviennent plus complexes, visant à développer des analyses multimodales.
- Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?
D’un point de vue professionnel, mon objectif est de réussir les concours, progresser dans ma carrière et devenir directrice de recherche.
Sur le plan de mes projets de recherche, je souhaite identifier des mécanismes qui permettront de proposer des thérapies efficaces aux patients.
En plus de mon engagement pour l’équité de genre, je promeus activement la science ouverte afin de rendre le savoir accessible à tous, en favorisant transparence, collaboration et libre accès aux recherches. Cela fait partie de ma vision d’une science inclusive.
- Dans quelles actions à caractère sociétal êtes-vous impliquée ?
Mon action s’est portée tant sur le plan scientifique que sociétal, en développant des outils favorisant la promotion de l’égalité de genre. J’ai notamment cherché à mettre en lumière les avantages d’une communauté scientifique plus inclusive et transparente pour les générations futures.
Mon engagement dans la cause pour les filles et les femmes en science a débuté lorsque j’ai fondé une association de bénévoles que nous avons nommé « XX Initiative », visant à aborder les biais de genre et les inégalités au sein de la communauté scientifique. Notre principal objectif était de sensibiliser à ces problématiques et de proposer des actions concrètes pour les combattre. Pour notre première action, nous avons collecté des données afin d’évaluer la représentation des femmes dans notre institut. En 2017, les femmes représentaient 63 % du personnel de l’ICM mais seulement 26 % occupaient des postes de direction, et seulement 25 % étaient invitées à nos séminaires internes. Ce constat nous a incitées à publier une lettre dans Nature Human Behavior, décrivant une feuille de route pour traiter ces inégalités. L’une des conséquences clés de nos efforts a été la création du Comité pour l’Équité de Genre (GEC), que je coordonne actuellement.
Je suis fière des progrès accomplis : le conseil de direction et le comité de pilotage scientifique comptent désormais 50 % de femmes, et six des onze membres du Conseil d’Évaluation Scientifique International sont des femmes. De plus, notre score à l’Indice d’Égalité Professionnelle est passé de 75 à 91 sur 100.
Après avoir été ambassadrice du réseau ALBA pendant 3 ans afin de promouvoir la diversité et l’inclusivité dans les neurosciences, j’ai été désignée en Août 2024 Vice-Présidente Élue puis Présidente en 2025, un rôle qui me permettra de contribuer davantage à la promotion de ces valeurs à un niveau de leadership supérieur.
- Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ?
J’ai constaté qu’au fur et à mesure que l’on progresse dans notre carrière, nous sommes de plus en plus confrontées à des comportements qui entravent notre évolution au même rythme que nos collègues masculins. Comme indiqué dans de nombreuses études scientifiques, nous sommes moins souvent invitées à des conférences, nos articles sont moins cités, etc., ce qui réduit la visibilité de notre travail — pourtant, cette visibilité constitue l’un des critères essentiels d’évaluation pour notre avancement professionnel.
- Quelle est la situation au plan de l’égalité F-H dans votre domaine ?
D’importantes inégalités persistent dans la représentation des femmes aux postes décisionnels, malgré une surreprésentation des femmes parmi les doctorantes et les post doctorantes en neurosciences moléculaires et cellulaires.
- Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?
Il est essentiel de prendre conscience de l’impact de nos biais inconscients sur nos prises de décision. La première étape consiste à reconnaître à quel point nous sommes tous sujets à ces biais. Je recommande à chacun de passer le test d’Harvard : https://implicit.harvard.edu/implicit/selectatest.html.
Et… je l’admets volontiers, moi-même je ne suis pas épargnée, avec un biais implicite en faveur des hommes.
- Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ?
Entourez-vous pour avancer : trouver des mentors et des alliés pour vous accompagner dans votre carrière.