Femmes En Tête 2025 – Laure Gardelle
Professeure des Universités en linguistique anglaise – Université Grenoble Alpes

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2025 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.
- Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?
J’ai toujours aimé l’anglais, sa musique, sa logique ; j’ai eu la chance que mes parents nous emmènent plusieurs fois en voyage en Grande-Bretagne et en Irlande, et j’ai aimé les gens, les lieux, l’histoire. J’ai par ailleurs toujours voulu être enseignante : j’aimais comprendre et aider à comprendre. C’est en Master que j’ai découvert un plaisir pour la recherche, et la linguistique est ce qui m’attirait : les ressorts de la grammaire d’une langue, les éléments de culture qu’elle intègre, la manière dont la communication est un perpétuel ajustement entre l’autre et soi. C’est alors devenu évident pour moi que ce serait ma voie.
- Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ? Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?
Je travaille sur le rapport entre langue, locuteurs et société. J’étudie l’anglais, avec parfois des comparaisons avec le français. En quelques mots, on sait que la langue (le lexique, les proverbes, mais aussi la grammaire) contient des représentations du monde ; par exemple, si les langues ont souvent des catégories grammaticales de genre, de singulier/pluriel, de temps, c’est parce que ce sont des éléments fondamentaux de notre pensée. Je cherche à comprendre pourquoi les règles pour ces catégories sont toutefois rarement transparentes, quelles sont les autres logiques que révèle la grammaire. Par exemple, pourquoi on ne peut pas dire two clothes ou deux bétails alors qu’on parle de deux éléments, pourquoi on accepte des exceptions dans les généralisations (ainsi les trains sont toujours en retard alors que littéralement ce n’est pas le cas). Ces recherches théoriques permettent d’améliorer les connaissances, mais aussi d’apporter un regard plus expert sur certaines questions de société, par exemple pour comprendre certains facteurs de persistance des stéréotypes.
Je ne sais pas si je parlerais d’« une » plus grande réussite scientifique ; c’est plutôt une somme de petits résultats. Au-delà, ma plus grande réussite générale, c’est un sentiment d’utilité dans le système (que ce soit pour les cours, la recherche ou les responsabilités plus administratives), et le fait d’être aujourd’hui reconnue par mes pairs, en France et à l’international.
- Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?
Mon agenda des cinq prochains mois, ce sont des cours, l’encadrement d’étudiants et doctorants en recherche, mais aussi un colloque que je co-organise avec une collègue aux Pays-Bas, une semaine d’examen de dossiers au Conseil National des Universités, deux conférences invitées dans des séminaires à Paris, la poursuite d’un projet de recherche avec un collègue d’Irlande, et l’évaluation quinquennale de l’école doctorale que je dirige. Pour les prochaines années, mon objectif est de continuer à œuvrer pour former au mieux les étudiants et à développer les recherches que je mène, y compris dans leur impact pour la société.
- Dans quelles actions à caractère sociétal êtes-vous impliquée ? (diffusion des connaissances, mentorat, développement des relations science-société, promotion des femmes dans les sciences)
Récemment, j’ai surtout été impliquée dans le développement de ponts entre l’université et les enseignants du secondaire. J’ai créé le Porte-Clés grammatical, ressource en ligne qui donne des repères pour l’enseignement de la grammaire, en partenariat avec une équipe d’inspecteurs d’académie ; et je coordonne avec l’inspection académique de Grenoble une formation annuelle des enseignants d’anglais LLCER de lycée, formation assurée par des collègues universitaires et qui connaît un tel succès qu’il faut maintenant refuser des inscriptions.
- Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?
Ni l’un ni l’autre, je pense, dans mon métier. Je dirais que ce qui a eu un impact dans le monde professionnel, c’est mon engagement et ma personnalité : être volontaire, rigoureuse, à l’écoute des autres pour entendre les difficultés et chercher les meilleures solutions, ne pas hésiter à œuvrer pour faire bouger les choses lorsque c’est possible, avoir une curiosité qui fait qu’on a envie de trouver les réponses aux questions de recherche, de ne pas s’arrêter aux premiers obstacles.
- Quelle est la situation au plan de l’égalité F-H dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?
En études anglophones, la situation est saine, sans sentiment de jugement à deux vitesses selon son sexe ou son orientation de genre. Il y a une vraie attention à cela, avec une vigilance sur la parité à différents niveaux, également des rappels récurrents sur le fait que les femmes se mettent souvent peu en avant, n’osent pas. Les effets sont réels. Ce sont les hommes qui manquent parfois, dans le paysage. Dans la société, on entend souvent qu’il faut encourager les filles à faire des maths, mais peu qu’il faut encourager les garçons à faire des sciences humaines. C’est là qu’il faudrait agir aussi : les sciences humaines ne sont pas des disciplines inférieures.
- Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ?
Le métier d’enseignant-chercheur est un métier qui a du sens, flexible, avec la possibilité de faire des choix pour le faire correspondre au mieux à ce que l’on est : choix de cours, de responsabilités collectives, de projets de recherche, de manières de mener la recherche.
La variété des types d’activités est un autre aspect intéressant du métier, de mon point de vue. On assure des cours aux objectifs très divers, à tous niveaux, également du suivi individuel d’étudiants en Master et en doctorat ; les engagements collectifs vont de la gestion de formations ou d’équipes de recherche au recrutement de collègues ou à la participation à des jurys de concours ; la recherche peut se faire en collaboratif ou seul, en France et à l’international.
Enfin, l’enseignement supérieur, en études anglophones en tout cas, est un monde dans lequel on peut réussir sans avoir de personnes de son entourage qui sont elles-mêmes dans le métier, par ses efforts et son engagement – c’est mon cas. Il y a toujours des collègues de confiance à qui demander conseil si besoin au fil de son parcours.