Femmes En Tête 2025 – Anne Sophie Tribot
Professeur Junior – Université d’Aix-Marseille – Laboratoire TELEMMe

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2025 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.
- Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?
J’ai grandi en milieu péri-urbain, je rêvais de grands espaces sauvages et de liberté. C’est tout simplement la nature qui m’a inspirée, car je la trouve belle. Cette dimension esthétique sera d’ailleurs centrale dans mes recherches. Je me suis donc orientée vers un cursus professionnalisant en gestion et conservation de la nature. Au cours de mes études, j’ai adoré comprendre le fonctionnement des écosystèmes et des interactions entre espèces. J’étais toutefois frustrée que les sciences humaines et sociales soient si peu introduites en écologie, car elles sont essentielles pour comprendre les dynamiques individuelles, politiques et sociales qui permettent d’opérationnaliser la conservation de la biodiversité. Les facteurs écologiques et sociaux sont interdépendants. La recherche m’est donc apparue comme un moyen de faire dialoguer l’écologie avec les SHS, à travers une approche interdisciplinaire. Finalement, mon intérêt pour la nature m’a conduite à m’intéresser aux humains. Je remercie mes encadrant.e.s de thèse en écologie qui ont rendu cela possible et m’ont ouvert la voie pour étudier les perceptions de la biodiversité.
- Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ? Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?
Je travaille sur les perceptions et les représentations de la biodiversité sous-marine, afin de les comparer aux prescriptions de la biologie de la conservation, d’en identifier les freins et leviers individuels et sociaux, et d’expérimenter de nouveaux modes de médiation. Pour cela, je m’intéresse notamment à la dimension esthétique et aux représentations artistiques de la biodiversité sous-marine. Ce sujet implique de travailler avec des disciplines variées telles que la biologie, l’histoire, la sociologie, la psychologie sociale ou encore l’histoire de l’art.
Il est important de porter des programmes de recherche interdisciplinaires impliquant les sciences participatives et la médiation. Cela permet d’enrichir notre compréhension des problématiques complexes, de favoriser l’implication des citoyens, et d’encourager un dialogue constructif entre chercheurs de diverses disciplines, décideurs et grand public.
Développer une carrière scientifique en interdisciplinarité demeure un pari audacieux : cela implique de naviguer entre des méthodes, des vocabulaires et des approches très variés, et aussi d’être souvent confrontés à un manque de reconnaissance pour ces démarches, alors perçues comme secondaires par rapport à la publication dans des revues spécialisées. Grâce au soutien de mes collègues et leur ouverture scientifique, j’ai pu évoluer en maintenant une posture interdisciplinaire, cela constitue pour moi une vraie réussite.
- Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?
Je suis actuellement titulaire d’une chaire de professeur junior. Cette position me permet de poursuivre et de développer des projets de recherche interdisciplinaires, toujours centrés sur les liens entre perceptions, médiation et conservation de la biodiversité. En parallèle, je co-dirige une thèse qui s’inspire d’une démarche issue de la psychologie sociale sur les liens cognitifs, affectifs et sensoriels des individus avec les milieux marins. J’espère pouvoir co-diriger d’autres projets doctoraux, et poursuivre les collaborations avec des collègues de disciplines variées à l’international. Dans les années à venir, j’espère pouvoir soutenir une Habilitation à Diriger des Recherches afin d’accompagner des équipes, et des jeunes chercheurs et chercheuses dans des projets croisant écologie et SHS.
- Dans quelles actions à caractère sociétal êtes-vous impliquée ? (diffusion des connaissances, mentorat, développement des relations science-société, promotion des femmes dans les sciences)
Les actions à caractère sociétal sont souvent au cœur de mes recherches. Je considère notamment la médiation scientifique non seulement comme un mode de diffusion des connaissances, mais aussi comme un objet d’étude. Je travaille par exemple sur l’ours en peluche à la fois en tant qu’outil de médiation scientifique et comme moyen d’étudier les liens entre perceptions sensorielles et attachement. Je développe également des projets mêlant arts et sciences, centrés sur l’océan. Ces initiatives, sous forme de médiations, permettent d’étudier les perceptions et représentations du milieu sous-marin à travers une dimension nouvelle. J’ai également participé à l’édition d’un ouvrage grand public qui explore comment les artistes ont représenté la vie marine à travers les âges, et interroge l’impact de ces œuvres sur nos connaissances scientifiques et notre perception de l’océan (« Merveilles Aquatiques, l’art de représenter le vivant »). Enfin, je participe autant que possible aux évènements de culture scientifique telles que la Fête de la Science ou la Nuit Européenne des chercheurs.
- Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?
Non pas vraiment, car mon entourage – tant professionnel que personnel – a toujours fait preuve de soutien et d’encouragements à mon égard.
Mais ma situation est peut-être de l’ordre de l’exception. Dans la recherche comme ailleurs, les remarques ou comportements sexistes existent, et les rapports de domination sont encore très prégnants. Les inégalités restent malgré tout réelles, même si elles sont moins criantes qu’avant, du moins dans notre milieu. Elles sont particulièrement visibles en termes de carrière, les femmes accédant plus tard que les hommes aux postes à responsabilités. Les femmes chercheuses sont plus souvent confrontées aux difficultés de concilier vie professionnelle et familiale : ce métier demande une certaine mobilité géographique et un fort investissement, parfois incompatibles avec les attentes sociales auxquelles les femmes font face. Lors de réunions, j’ai aussi pu parfois observer que les femmes ont plus de mal que les hommes à faire entendre leur voix, à être écoutées, et à prendre place.
- Quelle est la situation au plan de l’égalité F-H dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?
La principale inégalité se situe dans les postes de direction, dans lesquels les femmes sont encore sous-représentées. Il y a là probablement un biais de sélection qui s’ancre dans les stéréotypes de genre, mais aussi une progression de carrière souvent entravée par des obstacles structurels, telles que les responsabilités familiales. Il est nécessaire de garantir que les femmes aient un accès égal et équitable aux financements de la recherche, de leur proposer un accompagnement spécifique pour le développement de carrière, et d’améliorer la transparence dans les processus de recrutement.
- Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ?
La recherche est un domaine stimulant et passionnant. Si elle vous attire, lancez-vous ! N’ayez pas peur d’oser, de prendre des risques. Les carrières dans la recherche sont souvent difficiles et précaires, avec un avenir parfois incertain. Cela peut être décourageant, surtout lorsque l’on débute. C’est justement pour cela qu’il est essentiel d’y apporter rigueur et détermination, et de s’entourer de personnes qui croient en vous. Ne laissez pas les stéréotypes ou les attentes sociales vous submerger. Les femmes ont toute leur place dans la recherche.