Femmes En Tête 2024 – Jenny Sorce

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Femmes En Tête 2024 – Jenny Sorce

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2024 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.

Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant ?

Ma motivation remonte au CM1 sur l’inspiration d’un maître d’école, Monsieur Massip, que la découverte de l’expansion accélérée de l’univers avait lancé dans une explication du Big Bang. Ses gestes, pour expliquer la concentration de matière et ce qui s’en est suivi, sont encore très présents aujourd’hui. Essayer de comprendre comment l’Univers s’est formé est alors devenu une évidence.

Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ? Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?

Mon domaine de recherche est celui de la cosmologie, à savoir la compréhension de l’Univers dans son ensemble. Plus particulièrement, il s’agit de développer des outils qui nous permettront d’analyser les grands relevés observationnels de galaxies sans effet systématique, afin d’aboutir à des conclusions non biaisées concernant le modèle cosmologique. Ces outils reposent sur des simulations cosmologiques particulières, qui sont contraintes à reproduire notre coin de l’Univers (1022 km de large), et sur les dernières avancées en science des données, techniques de l’apprentissage automatique incluses. L’Univers a toujours fasciné l’humanité et les techniques de la science des données, notamment l’intelligence artificielle, dont l’apprentissage automatique est une sous-discipline, prennent de plus en plus de place dans notre vie quotidienne.

Tous les chercheurs et toutes les chercheures contribuent à apporter leur petite pierre à l’édifice, j’espère faire de même.

Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?

En tant que chercheure statutaire, il est enfin possible de me consacrer à la recherche avec une vision à long terme et avec prise de risque. Les demandes de financement, afin de constituer une équipe pour réaliser les projets associés, sont déposées. Cela ne m’empêche pas de commencer les projets avec mes collaborateurs actuels dispersés sur la planète. Le crédo de ces projets de recherche est ‘’la précision, c’est très bien, avec l’exactitude, c’est encore mieux’’. Autrement dit, ‘’viser toujours le même endroit de la cible, c’est très bien, viser le mille, c’est encore mieux. ‘’

Dans quelles actions à caractère sociétal êtes-vous impliquée ?

Multiples conférences grand public, interventions dans les collèges et lycées, participation au programme de mentorat pour les étudiantes en thèse de l’Université de Lille, organisation de semaines autour de l’astrophysique pour les jeunes victimes d’autocensure, membre de divers comités dont ceux de parité, de développement-durable et scolaire de mon institut d’affectation, membre de Femmes & Sciences, rôle-modèle pour le projet ‘’la Science Taille XXElles’’ dans la région Lyonnaise, extension du projet ‘’la nuit est belle !’’ du Grand Genève à la métropole Lilloise,… sont autant d’exemples des actions que je mène.  

Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?

Aidée ? Certaines mauvaises langues diront oui. Des difficultés ? Sûrement. Pour décrocher le précieux graal – un emploi de chercheur permanent en astrophysique en France – avec des taux de réussite de seulement 2-3%, la route a été très longue et semée d’obstacles sociaux et/ou genrés nombreux et variés à tous les niveaux. Malheureusement, la fin du chemin n’est pas pour autant en vue. Lorsque nous passions les concours de recrutement, j’avais pourtant promis à ceux et celles les passant avec moi que je ferai changer les choses si l’issue était positive. Malheureusement, l’emploi permanent, s’il assoit un peu ma légitimité, ne le fait pas autant que pour mes collègues masculins. Le dernier exemple en date est celui d’une conférence internationale que j’ai clos en soulignant qu’il était indispensable d’accorder le crédit et la confiance qui revenaient de droit aux jeunes (femmes) en utilisant, entre autres, les exemples de l’effet Matilda et du syndrome de l’imposteur. Ce jour, des courriels désobligeants continuent d’affluer. Cela dit il est préférable de garder en tête les remerciements des jeunes (femmes) à la fin de mon intervention.

Quelle est la situation au plan de l’égalité F-H dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?

Il est indispensable que des femmes et des hommes s’engagent pour effacer les biais dans le monde de la recherche. Pour cela, il faut apporter une diversité de parcours et d’expérience et un grand nombre d’actions. Il faut mettre en lumière les biais, surtout inconscients, en espérant toujours qu’il y aura davantage de retombées positives que négatives, et que ces dernières, si elles existent, ne le seront que sur ma personne. Il faut espérer que les petites phrases en passant feront leur cheminement, comme par exemple, avez-vous remarqué que dans mon équipe de recherche actuelle, seulement trois femmes ont des postes permanents (sur 15) et aucune n’est de rang A ? Ou encore, saviez-vous que dans mon équipe antérieure, la dernière femme recrutée sur un poste permanent l’a été en 1998… et que c’est toujours le cas ? Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas beaucoup de postes ou de promotions. Certes leur nombre est limité, mais ça n’a tout de même pas empêché de recruter au moins neuf collègues masculins sur la même période. Des biais ont forcément joué.

Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ?

Les jeunes filles ont bien plus de courage qu’elles ne le pensent. Tout simplement parce que nées filles, elles sont obligées d’en avoir davantage et elles peuvent en être fières. Oui, être une fille est une fierté, tout comme être un garçon, sauf qu’à ces derniers nous leur disons plus facilement… Elles ont donc largement la force nécessaire pour poursuivre leur rêve. Tout au long de leur parcours, il leur faudra écouter uniquement les personnes intéressantes et laisser de côté les discours déraisonnables, et se rappeler que, quoi qu’il arrive, l’important est d’avoir essayé pour ne pas regretter.

 

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