Femmes En Tête 2023 – Cindy Morris

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Femmes En Tête 2023 – Cindy Morris

Cindy Morris femme en tête

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2023 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.

Cindy Morris est directrice de recherche à l’INRAE en écologie bactérienne à Avignon et animatrice de l’équipe MISTRAL.


Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?

J’ai grandi près des plages du grand lac Michigan, dans le sud-ouest de cet état (États-Unis). Mon rêve était de devenir océanographe, inspirée par les documentaires de Jacques Cousteau et les livres sur les femmes plongeuses. Cependant, je ne pensais pas être assez douée pour être compétitive pour des postes de recherche dans ce domaine et je craignais de devoir chercher un emploi dans l’industrie pétrolière – ce que, à un jeune âge, je savais déjà être contraire à mon éthique personnelle. Je me suis donc orientée vers un autre sujet, inspirée par mes rencontres avec l’agriculture lors de mon enfance.  Le sud-ouest du Michigan était également très réputé pour sa production de fruits et légumes et ses immenses marchés horticoles et j’adorais m’occuper des légumes dans le jardin de mes parents. A l’université j’ai pris connaissance de l’exposition récurrent aux pesticides des ouvriers agricoles en Californie, révélées par les actions du militant Cesar Chavez au milieu des années 1900 et le sujet de nombreuses chansons folkloriques que j’aimais chanter. Ceci a suscité mon désir de rendre l’agriculture moins toxiques pour l’environnement et les ouvriers. Plus de détails sur mon parcours se trouvent dans une vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=_nM1gqcWRLg

Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ?

Mes recherches portent sur l’écologie des bactéries qui peuvent causer des maladies aux plantes. Au début de mes travaux, je me suis efforcée de comprendre comment la phase saprophyte (croissance « épiphyte » sur la surface des feuilles en particulier) de la vie des bactéries phytopathogènes était déterminante pour leur capacité à provoquer des maladies. En fait, je m’intéressais à ce qu’elles faisaient lorsqu’elles ne causaient pas de maladie, comment elles survivaient, ce qu’elles mangeaient, etc. Influencée des paradigmes de l’époque, je me suis concentrée sur cette phase saprophyte en lien avec des plantes cultivées dans les écosystèmes agricoles. Cependant, lors d’un séjour sabbatique à l’université d’État du Montana au milieu de ma carrière, j’ai fait une observation qui a changé cette perspective : j’ai trouvé la bactérie phytopathogène Pseudomonas syringae dans les rivières, les lacs, la neige, etc. dans des régions qui n’étaient pas proches des cultures. Les recherches qui ont découlé de cette observation ont conduit mon équipe à défendre l’idée que cet agent phytopathogène était lié au cycle de l’eau. J’ai ensuite fait valoir que pour mieux comprendre le cycle de vie des agents pathogènes des plantes, il fallait prendre en compte des habitats au-delà de l’agriculture, et proposé un nouveau paradigme. Ce positionnement fort de ma part a eu des répercussions sur la surveillance des maladies des plantes, ouvrant ainsi de nouvelles options pour des interventions précoces dans la gestion de la santé des plantes et la réduction de l’utilisation des pesticides. C’est le thème central d’un projet majeur que je dirige actuellement.

Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?

La réussite dont je suis la plus fière est d’avoir changé la façon de penser des autres scientifiques.  J’ai convaincu de nombreux collègues que mes visions sur l’histoire de la vie des agents phytopathogènes, et aussi sur le potentiel de ces micro-organismes à influencer les processus atmosphériques, étaient effectivement crédibles. Au début de ma carrière, mes collègues étaient très incrédules face à ces idées. L’incrédulité provenait du désaccord avec les cadres conceptuels de la pathologie végétale et des sciences atmosphériques de l’époque. Les cadres conceptuels (paradigmes) sont la base sur laquelle se perfectionne notre compréhension de la nature. Se détacher des paradigmes bien-aimés qui sous-tendent nos recherches est un processus traumatisant, plein de conflits qui induisent des réticences. En identifiant et en comblant les lacunes dans les connaissances, j’ai pu surmonter l’incrédulité de mes collègues et contribuer à l’élaboration de nouveaux paradigmes tant en phytopathologie qu’en physique de l’atmosphère. À mes yeux, cela témoigne de l’ouverture des scientifiques à adopter de nouvelles idées lorsqu’on leur présente des faits convaincants – quelles que soient leurs convictions antérieures. Tant que cette transformation des cadres conceptuels se poursuit, la science est bien vivante.

Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?

A l’approche de la retraite (fin 2026), mon objectif est de conclure, au mieux, mes objectifs et activités professionnelles et de transmettre autant que possible mes compétences surtout les plus spécifiques. Mes activités actuelles consistent à diriger un projet national interdisciplinaire sur l’anticipation des risques pour la santé des plantes grâce à des stratégies de surveillance modernisées (https://www6.inrae.fr/beyond/), à codiriger l’EUR (école universitaire de recherche) IMPLANTEUS que j’ai contribué à créer et mettre en place (https://implanteus.univ-avignon.fr/en/) et à élaborer son programme d’enseignement ; et à diriger un projet d’anticipation (et d’atténuation) de la vulnérabilité des arbres fruitiers au gel dans le contexte du plan de relance du gouvernement français (https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance). En outre, je participe au mentorat de 4 doctorants et je transmets mes compétences pour la conduite d’ateliers de mentorat interdisciplinaires qui relient la biologie et la physique (voir les ateliers MILAF décrits à https://bioice.wordpress.com/).

Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?

Je n’ai jamais attribué les difficultés que j’ai rencontrées dans ma carrière au fait d’être une femme. Ces difficultés tenaient au fait que mes idées scientifiques étaient considérées comme ésotériques et un peu folles plutôt que raisonnables. Au cours de ma carrière, j’ai imaginé de nombreuses hypothèses pour expliquer cela, mais je n’ai jamais envisagé que cela pouvait être dû au fait d’être une femme.  La première fois que je me suis demandé si je souffrais de préjugés sexistes, c’est lorsque j’ai essayé de répondre aux questionnaires pour évaluer l’état des questions d’égalité et de diversité dans mon institut. J’ai fini par surmonter ces difficultés, et je suis certaine que le fait d’être une femme n’y est pour rien.  Pour surmonter ces difficultés, j’ai appris à identifier la base des malentendus de mes collègues concernant mes idées scientifiques, grâce à l’aide de quelques mentors, et j’ai investi des efforts considérables dans la communication scientifique. Une partie de cette difficulté était d’ordre culturel : le fait d’avoir été élevée dans une culture anglo-saxonne et d’avoir étudié la philosophie et l’histoire des sciences m’a donné une perspective très différente de celle de la plupart de mes collègues.

Quelle est la situation au plan de l’égalité Femmes-Hommes dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?

Contrairement aux disciplines des sciences physiques et des mathématiques, la proportion de femmes en biologie a nettement augmenté au cours de la dernière décennie. Cela place les femmes dans une position où elles ont de plus en plus de force pour défendre les questions d’égalité dans la réussite à l’embauche et de promotion. Par ailleurs, les femmes sont souvent plus disposées à se porter volontaires pour des tâches collectives qui profitent à la communauté professionnelle. Donc, de façon paradoxale, avec l’augmentation du nombre de femmes en biologie, il est plus facile de faire en sorte que des tâches soient dominées par des femmes quasi exclusivement – ce qui permet à leurs homologues masculins de se concentrer sur la recherche. Il faut veiller à maintenir l’équilibre. 

Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ? 

Suivez votre passion et ayez confiance en vous. Trouvez un.e mentor.e qui croit en vous et qui vous aide à développer vos forces et à surmonter vos faiblesses. Un jour, vous aurez la chance d’avoir les compétences nécessaires pour servir de mentor à quelqu’un d’autre.  


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