Femmes En Tête 2025 – Marion Mathieu

Le portail des sociétés savantes académiques en France

Femmes En Tête 2025 – Marion Mathieu

Formatrice scientifique dans l’association “Tous Chercheurs”, responsable du pôle “Associations de patients”

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2025 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.

  • Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?

Dès l’enfance, j’ai été attirée par les sciences, notamment grâce à mes parents, scientifiques eux-mêmes. Lors de mes études d’ingénieur à l’École Supérieure de Physique-Chimie Industrielle de Paris (ESPCI-Paris), deux enseignants, Serge Charpak et Pascal Williams, m’ont motivée à m’orienter vers la biologie à l’occasion de mon doctorat. Souhaitant faire œuvre utile, j’y voyais l’occasion de travailler dans le champ de la santé, en prise avec les pathologies humaines. Dès cette époque, j’aimais enseigner, alors à des étudiants, et transmettre des connaissances. Intégrer l’association Tous Chercheurs répondait à ces différentes aspirations. J’y travaille depuis 20 ans et cela a été l’occasion de rencontrer différents modèles d’engagement, notamment deux pionnières, Constance Hammond, scientifique fondatrice puis présidente de Tous Chercheurs, et Dominique Donnet-Kamel, femme de communication responsable de la mission Inserm Associations, à l’origine du Gram (Groupe de Réflexion avec les Associations de Malades), organe pionnier d’échanges entre chercheurs et associations.

  • Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ? Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?

Mon activité se définit moins par un thème que par une démarche visant à faciliter l’implication des malades dans des actions de recherche. Cette démarche repose sur deux impératifs essentiels à l’adéquation entre ces recherches et les attentes des malades concernés : 1) partir des besoins formulés par les malades eux-mêmes, 2) les impliquer activement dans les différentes phases de la recherche.

Elle nécessite aussi une activité continue de formation, d’émancipation des intéressés, tant pour les inciter à s’engager dans ces recherches que pour leur proposer des outils utiles pour y participer. Nous avons ainsi mis en place, depuis de nombreuses années, une pédagogie innovante à Tous Chercheurs de type « apprendre en faisant » où nous proposons des stages d’immersion à la recherche pour les participants : une occasion unique pour les stagiaires de se « mettre dans la peau d’un chercheur » ! Cette pédagogie apporte beaucoup en termes de création de liens de confiance entre scientifiques et patients, d’écoute et de partage respectifs des savoirs, de compréhension des démarches de recherche.

Dans une dynamique plus « incrémentale » que sensationnelle, il m’est difficile d’identifier une « grande réussite ». Ma plus grande satisfaction est sans doute d’avoir pu contribuer à mon niveau, pendant ces 20 années passées à Tous Chercheurs, à la montée en puissance de la recherche collaborative en santé, que ce soit en termes de diversité des sujets de recherche, mais aussi de place qu’occupent les patients dans ces recherches : les recherches ne se font plus seulement Pour les malades mais Avec les malades, et de plus en plus souvent à la demande des chercheurs eux-mêmes. Je suis aussi impressionnée par le chemin parcouru par bon nombre d’anciens stagiaires qui après avoir suivi plusieurs formations que j’anime, sont maintenant des patients experts, patients formateurs ou des co-chercheurs !

  • Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?

Le temps de la recherche est long, son accompagnement aussi, en particulier pour les recherches collaboratives.

Cela nécessite, dès le lancement, d’identifier les valeurs qui rassemblent les différents acteurs, d’en explorer le sens et les implications pratiques pour chacun. En portant ou accompagnant ce type de recherche, je dois donc être à l’écoute des différents acteurs et faire le nécessaire pour créer un environnement favorable à la reconnaissance mutuelle et respectueuse des compétences, au partage des savoirs et des pouvoirs.

Je suis impliquée actuellement dans 3 projets de recherches collaboratives :

1) le projet IGP-rare que nous co-portons depuis 2020, et qui est soutenu par l’Agence de la Biomédecine. Son objectif est de mieux comprendre les mécanismes en jeu lors de la mise en œuvre de l’information génétique de la parentèle dans les maladies rares, de repérer les difficultés associées, en se plaçant du point de vue des intéressés (les personnes ayant eu à informer leurs apparentés). Cette recherche vise aussi (et surtout !) à proposer des améliorations concrètes pour sa réalisation. Nous en sommes à la phase de communication des résultats et d’identification de mesures/outils qui en découlent pour améliorer cette difficile démarche familiale ;

2) Le projet ExPaParM-ACTION qui porte sur la mucoviscidose et qui a reçu un financement de l’ANR (financement SAPS, Sciences Avec et Pour la Société). Cette recherche vise à adapter un questionnaire de recueil de l’Expérience Patient et à l’évaluer dans quatre terrains d’étude. A terme, elle doit permettre de mettre en œuvre des actions pour améliorer les parcours patients. J’interviens ici, via Tous Chercheurs, comme Tiers veilleuse, c’est-à-dire à la fois comme observatrice et facilitatrice de l’implication des patients aux côtés des chercheurs ;

3/ Un projet qui débute à peine sur la sclérose en plaques et qui viserait à termes, à évaluer une intervention non médicamenteuse pour améliorer les troubles cognitifs chez les patients. J’accompagne une chercheuse, depuis le début du projet, pour la mise en place d’une démarche de recherche collaborative avec des patients.

En synergie avec ces actions, je continue de proposer des formations à la recherche, à destination de patients et proches aidants, au gré de leurs besoins, afin de les aider non seulement à acquérir des clés de compréhension sur leur maladie et sur la recherche associée, mais aussi à monter en compétences et en légitimité sur le sujet. Répondant aux demandes des patients et des associations, ces formations abordent des thématiques extrêmement variées : recherches préclinique et clinique, vaccination, tests génétiques et séquençage, biothérapies et biosimilaires, microbiote, données en vie réelle et entrepôt de données, etc. Elles interviennent souvent peu de temps avant que le sujet n’émerge dans le débat public.

Les stagiaires soulignent souvent qu’une personne combat mieux sa maladie lorsqu’elle la connait, la comprend et est au courant des avancées de la recherche dans le domaine. J’espère aussi leur montrer qu’ils ont toute leur place en recherche et que leur savoir expérientiel est complémentaire et tout aussi utile que les savoirs académiques des chercheurs qui portent les projets.

  • Dans quelles actions à caractère sociétal êtes-vous impliquée ? (Diffusion des connaissances, mentorat, développement des relations science-société, promotion des femmes dans les sciences)

Dans les actions que je mène, il m’est bien difficile de séparer celles qui ont un caractère sociétal des autres. En effet, partager avec des patients des outils scientifiques qu’ils vont mettre en œuvre dans un projet collaboratif est autant une aide à la recherche qu’une contribution sociétale.

Difficile également de distinguer causes et conséquences dans ces retombées sociétales : les patients collaborent-ils avec des chercheurs qui se sont rapprochés d’eux, ou se rapprochent-ils du monde de la recherche en collaborant à des projets de recherches ?

La dualité scientifique/éthique des sujets abordés trouve aussi son écho dans ma participation depuis plus de 10 ans à l’Espace Éthique PACA Corse, une double activité dont chaque partie nourrit l’autre.

La mise en œuvre d’une recherche exige de ses acteurs, le respect des autres, des compétences avérées et complémentaires, une détermination à l’épreuve de la durée, toutes qualités que les « professionnels » de la recherche découvrent de plus en plus dans la « société civile », singulièrement chez les malades.

  • Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?

Je ne pense pas avoir rencontré de difficultés liées au fait d’être une femme, que ce soit pendant mes études (et notamment mon doctorat) ou dans mon travail. Le fait de ne pas avoir choisi de situations particulièrement compétitives, en préférant la coopération à la rivalité n’y est sans doute pas étranger.

Et même, si l’empathie, l’écoute des autres, la sensibilité dans l’échange sont des qualités qualifiées de « féminines », être une femme m’a très probablement facilité la mise en relation avec des associations de patients, la mise en place de projet commun et la confiance que ces personnes m’ont facilement accordée, essentielles à la réussite de mon projet professionnel.

  • Quelle est la situation au plan de l’égalité F-H dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?

Le monde de la recherche en biologie et dans la santé est un milieu où on retrouve beaucoup de femmes, particulièrement quand il s’agit de mener des actions de terrain qui nécessitent de pouvoir se projeter sur un temps relativement long. A l’inverse, plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes se font rares. C’est sans doute sur ce point que des améliorations seraient nécessaires, notamment en valorisant le travail des personnes de terrain, et en privilégiant un soutien aux actions sur le long terme, par rapport à certains scoops souvent vite oubliés.

  • Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ?

Avant tout, qu’elles aillent vers un parcours qui leur plait ! Cette envie me semble primordiale et, accompagnée d’un brin d’audace, elle permet de faire de très belles choses. Sortir des sentiers battus, oser des collaborations avec des personnes d’horizons différents permet d’aller plus loin et de déplacer les limites. Innover scientifiquement comme socialement n’est pas qu’un objectif mais une façon, libératrice, de vivre la recherche.

Étant passionnée d’escalade et d’alpinisme, les notions de cordée et d’équipe me sont chères. Avancer seule permet peut-être d’aller plus vite, mais avancer en équipe permet d’aller plus loin et pendant plus longtemps. Dans le cadre professionnel, j’ai énormément appris depuis 20 ans en côtoyant et travaillant avec des représentants associatifs, et j’ai pris conscience en tant que scientifique de toute la richesse à s’ouvrir à d’autres acteurs incontournables de la recherche en santé.

LinkedIn
LinkedIn
Share