Femmes En Tête 2025 – Marie-Christine Strullu-Derrien
Chercheuse en Paléontologie, associée au MNHN et NHM

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous présentons toute la semaine du 8 mars 2025 une série de portraits de femmes remarquables mises en avant par les sociétés savantes membres et associées du Collège des Sociétés Savantes Académiques de France.
- Qu’est-ce qui a motivé votre choix de domaine d’études et de recherche ? Aviez-vous un modèle inspirant (parent, enseignant.e, personnage de la littérature, du cinéma…) ?
J’ai toujours été intéressée par la nature environnante ; très jeune, je faisais de longues promenades avec mon grand-père dans la campagne ou en forêt. Mes disciplines préférées au lycée étaient la chimie et la biologie. A l’Université, j’ai opté pour ces disciplines parce que je voulais comprendre comment les organismes, et principalement les microorganismes, se développaient et se nourrissaient. Mes modèles inspirants ont été Marie Curie et Pasteur. Plus tard je me suis posé la question de l’origine et de l’évolution des microorganismes, ce qui m’a conduit à reprendre des études universitaires après avoir enseigné dans le secondaire, et à m’orienter vers la paléontologie.
- Sur quel sujet travaillez-vous ? En quoi est-il important pour la science ? pour la société ? Quelle est votre plus grande réussite dans votre domaine ?
Je travaille sur l’origine et l’évolution des champignons et autres microorganismes à partir du registre fossile, avec un accent mis sur les relations plantes-champignons. Aujourd’hui environ 90% des plantes sont associées à des champignons dans une relation à bénéfices réciproques. Ces champignons se développent dans le sol, produisant des filaments et des spores microscopiques. A l’heure où l’on parle de préservation de la biodiversité, il est crucial de connaître les mécanismes de mise en place et de maintien de ces relations. Les champignons sont un monde méconnu et tous les aspects de ce groupe sont importants à étudier.
Je pense que ma plus grande réussite a été de créer une nouvelle direction dans l’étude des champignons fossiles en utilisant les nouvelles techniques d’imagerie.
- Quels sont vos projets professionnels pour les prochains mois, les prochaines années ?
J’ai intégré un réseau international et collabore notamment avec des collègues anglais, mais également avec des collègues américains et européens. Cette dimension internationale est indispensable pour la recherche dans un domaine spécialisé comme le mien. Mes objectifs sont de pouvoir continuer à apporter ma contribution à la connaissance des champignons, d’étendre mon réseau de collaboration pour accéder à de nouvelles méthodes d’études (chimiques, par exemple) et d’inciter de jeunes chercheurs à travailler dans ce domaine quasi-orphelin, qui demande à être développé.
- Dans quelles actions à caractère sociétal êtes-vous impliquée ? (diffusion des connaissances, mentorat, développement des relations science-société, promotion des femmes dans les sciences)
Depuis plusieurs années, j’interviens dans les écoles. L’intervention auprès des enfants pour les sensibiliser à la science, et notamment les filles, est primordiale en classe de primaire avant que ne soit bien ancré en elles l’idée que « ce n’est pas pour elles ». Engager les parents à prendre conscience de ce qui a été réalisé ́avec leurs enfants est aussi un moyen de les sensibiliser.
Je suis membre du conseil d’administration de la Société Botanique de France qui a pour but de de concourir au progrès des disciplines de la botanique fondamentale et de terrain. Ses domaines d’action sont nombreux, dont l’inventaire et la protection de la biodiversité et de la nature en général. Je suis membre du comité éditorial de son journal Botany Letters – revue scientifique à facteur d’impact – publiée en anglais pour faciliter les échanges en matière de recherche internationale. Je publie également dans Le Journal de botanique, qui est orienté vers le public francophone plus généraliste.
Au niveau régional, je suis présidente de la Société d’Études Scientifiques de l’Anjou, dont l‘objectif est de sensibiliser un large public à la science. Avec l’aide des membres du bureau, nous organisons des activités et sorties sur les plantes, les champignons, la paléontologie et la géologie. Il y a un regain d’intérêt post-confinement de la part du public, ce qui est pour nous stimulant. De plus en plus de collectivités nous sollicitent pour organiser des sorties sur les champignons ou pour des inventaires.
- Avez-vous rencontré dans votre activité des difficultés (personnelles/sociales/structurelles) dues au fait d’être une femme ? ou au contraire, cela vous a-t-il parfois aidée ?
Je pense que les femmes comme les hommes doivent faire leurs preuves, chacun dans sa discipline. Cela a été difficile au début face à des collègues masculins qui avaient une position très en vue ; il a fallu s’armer de patience. N’ayant pas suivi un parcours classique, j’ai fait face à de nombreux obstacles, mais cela a aussi été une chance. J’ai rencontré des collègues avec qui la collaboration s’est aisément installée et qui m’ont aidée à franchir des étapes. La façon féminine de travailler y a peut-être été pour quelque chose.
- Quelle est la situation au plan de l’égalité F-H dans votre domaine ? Quelles sont vos suggestions pour que la situation puisse s’améliorer plus rapidement ?
La paléontologie est une discipline qui a une longue histoire, majoritairement masculine ; elle continue assez dans cette direction même si davantage de jeunes femmes s’y intéressent. Le manque de débouchés est un handicap sérieux et cela freine sans doute davantage les jeunes femmes. Rencontrer des femmes qui travaillent dans la discipline pour être guidée et soutenue dans son choix est un moyen qui pourrait permettre d’améliorer cette situation.
- Quel message pouvez-vous donner aux jeunes filles pour les encourager à s’engager dans un parcours comme le vôtre ?
Surtout ne pas hésiter à s’engager dans un parcours scientifique. Certaines jeunes filles manquent de confiance en elles et se laissent impressionner, parfois sans raison. La paléontologie est un domaine où il y a encore tant de choses à connaître. C’est un secteur exaltant et les nouvelles technologies d’imagerie apportent une nouvelle dimension à l’étude des organismes anciens. Reprendre des études pour changer d’orientation est peu répandu en France, j’essaie de leur montrer que c’est possible et que cela n’empêche pas d’être reconnue dans sa discipline.